30-11-19- Audience délégation « POUR QUE VIVENT NOS LANGUES » 30 novembre – Ministère Éducation nationale

Compte-rendu rédigé le 30-11-19 par M.J. Verny, complété et corrigé par P. Molac, P. Jorajuria et J.M. Woerhling. Validé par F. Alfonsi.

La délégation

  • François Alfonsi, député européen
  • Paul Molac, député Morbihan
  • Peio Jorajuria, prėsident de Seaska représentant d’Euskal Konfederazioa et d’Eskolim.
  • Marie-Jeanne Verny, FELCO http://www.felco-creo.org/ – enseignement public, occitan-langue d’oc, mandat du Félibrige
  • Jean-Marie Woerhling, représentant de la fédération Alsace Bilingue – Verband Zweisprachiges Elsass

La délégation est reçue par trois membres du cabinet du Ministre

  • Matthieu Lahaye, Conseiller affaires pédagogiques,
  • Édouard Geffray, directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO)
  • Constance Jacquin, conseillère relations politiques et parlementaires.

Déclarations de la délégation

Intervention de Mme Marie-Jeanne Verny

– Sur la réforme des lycées

Marie-Jeanne Verny rappelle à M. Lahaye que lors de deux précédentes audiences (audience FLAREP puis audience FELCO) dans le cadre de ses anciennes fonctions (conseiller en charge des langues régionales), il avait été interpelé sur le caractère néfaste de la réforme des lycées qui camouflait derrière des prétextes pédagogiques une économie de moyens, laquelle ne pouvait qu’avoir des effets très graves sur les matières optionnelles. Alors même que cette réforme n’était qu’annoncée, elle avait déjà des effets négatifs sur les choix des élèves et des parents, sur la considération portée par les chefs d’établissements par rapport aux options en général et aux langues régionales en particulier, jugées non rentables, et sur une atmosphère de concurrence sauvage créée dans les établissements entre les disciplines voire entre les enseignants. Par ailleurs, la difficulté de lisibilité des cursus par les élèves et les familles rendait le travail particulier d’information de la part des enseignants de langue régionale très difficile. Elle rappelle l’inégalité flagrante de traitement entre les langues et cultures de l’Antiquité et les langues régionales, dénoncée par l’ensemble des associations et de nombreux élus, notamment de l’Assemblée des Régions de France (ARF). La possibilité d’enseignements de spécialité pour les langues régionales a été un miroir aux alouettes, restant du domaine du virtuel (offerte au mieux dans un seul lycée par département) et attirant peu d’élèves, toutes langues confondues.

Les inégalités territoriales

Rappel est fait que des langues ne sont pas reconnues (flamand occidental ou savoyard), qu’il existe des différences de traitement abyssales entre les langues régionales en matière de moyens dédiés et de maillage du territoire, inégalité existante d’ailleurs également au sein d’un même territoire linguistique : des académies occitanes n’ont qu’un seul ou aucun professeur certifié, et ne disposent d’aucune école publique bilingue. Bien entendu, il s’agit, pour Madame Verny, de travailler à un alignement sur les langues les mieux dotées.

Une grave baisse des moyens dédiés depuis 2004 – des conditions de travail inhumaines

Le début des années 2000 a vu le passage d’une moyenne de 15 postes / an (pour 32 départements occitan) à 4, ce qui a conduit à un déficit cumulé d’environ 150 postes en 15 ans. Elle évoque les conditions de travail inhumaines des enseignants d’occitan, affectés sur un nombre de plus en plus grand d’établissements, les situations de souffrance devant la dévalorisation d’une matière choisie, devant les menaces de fermetures de cours, dont plusieurs ont été actées à la rentrée 2019, l’inconfort intellectuel d’être mis en concurrence avec d’autres enseignants.

Or la question des moyens est cruciale : dans le second degré notamment, sans moyens spécifiques affectés aux langues régionales, dans le cadre de dotations horaires globalisées (DHG) de plus en plus étriquées, il est insupportable pour un chef d’établissement ou pour un conseil d’administration de devoir choisir entre des moyens accordés aux options langues régionales ou à l’allègement des classes de maths ou de français.

Sur cette question, sans précisions, M. Lahaye dit que les académies ayant à assurer des enseignements de langues régionales ont leur dotation globalisée abondée. Il serait intéressant de disposer de précisions chiffrées, académie par académie, langue par langue, sur ces moyens spécifiques.

Quid des langues régionales dans les réformes des concours ?

Madame Verny pose également la question de la prise en compte des langues régionales dans les futures maquettes des concours de recrutement de professeurs des écoles et la couverture insuffisante de l’espace occitan en matière de formation des maîtres (le CRPE spécial LR n’est préparé que dans 3 INSPE sur 32 !)

Intervention de M. Peio Jorajuria

Peio Jorajuria rappelle que l’enseignement bilingue se définit comme « à parité horaire » et que même au lycée, cette notion doit s’appliquer. La réforme actuelle a diminué le nombre d’heure d’enseignement en langue régionale dans ces filières, en s’éloignant de cet objectif de parité horaire.

Il répond aux interrogations de M. Lahaye s’étonnant de le voir s’exprimer au sujet de l’enseignement public que son mandat d’Euskal Konfederazioa lui demande de présenter l’ensemble des problèmes rencontrés au Pays Basque.

Il rappelle l’expérimentation réalisée en Pays basque sur l’immersion en langue régionale en section maternelle en école publique. Il souligne les très bons retours des acteurs de terrain et les entraves rencontrées à l’ouverture de nouveaux sites d’expérimentation. Il demande à ce que l’évaluation de cette expérimentation soit rapidement réalisée afin de poursuivre l’ouverture de sections immersives dans l’enseignement public.

Concernant les filières associatives immersives, il remercie l’Éducation Nationale du signe d’ouverture donnée par M. le ministre la veille lors de sa visite au Finistère par l’annonce de l’autorisation donnée aux lycéens bretons de rédiger deux matières de l’épreuve finale du baccalauréat, alignant ainsi le breton sur les dérogations obtenues depuis plusieurs années pour les lycéens étudiant en langue basque (épreuve d’Histoire-géographie et de Mathématiques).

Monsieur Lahaye répond que les propos de M. le ministre ont été mal interprétés et que l’autorisation de passer deux épreuves en langue régionale ne s’applique qu’à deux matières du contrôle continu. A l’épreuve finale, seul l’épreuve liée à l’enseignement de spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales » pourra être rédigée en langue régionale.

Peio Jorajuria pose la question du déficit de postes pour les filières associatives du réseau Eskolim. Les effectifs d’élèves sont en croissance et les postes ne suivent pas. L’absence de postes fléchés dans les procédures (BOP 139) ou de méthode de mise en adéquation entre les besoins et les moyens affectés est un frein au bon fonctionnement du système.

Monsieur Lahaye répond que Seaska avait reçu une dotation conséquente l’année dernière qui avait nécessité des sacrifices de la part d’autres acteurs de l’éducation et insistent sur le zéro moyen supplémentaire pour l’enseignement privé à la rentrée prochaine.

Intervention de M. Paul Molac

Paul Molac rappelle que depuis deux ans le ministère est alerté sur la situation de l’enseignement des Langues Régionales. Il rappelle que toutes les demandes formulées par la représentation nationale lors des lois sur les écoles sous contrat ou lors de la loi de la confiance ont été écartées. Il insiste sur le refus du ministère de donner aux langues régionales le même statut que celui des langues anciennes. Enfin, nos langues méritent une vraie politique de soutien, une politique patrimoniale qui passe par la proposition systématique d’enseignement des langues régionales dans les territoires où elles sont usitées. L’Éducation nationale est la pierre angulaire de cette politique linguistique patrimoniale que nous attendons depuis des années. Elle passe par la formation initiale des enseignants. Il fait remarquer que dans l’enseignement bilingue n’est pas coûteux en moyens puisque ce sont les mêmes enseignants qui parlent les deux langues. Un enseignant bilingue n’est pas payé double.

Comme député, il porte la voix des trois secteurs d’enseignement du breton : public, associatif, et confessionnel il souligne le sort du flamand occidental et du franco-provençal qui sont peu enseigné et ne comprends pas pourquoi l’expérimentation initié sur le flamand occidental n’a pas été poursuivi.

Intervention de M. François Alfonsi

François Alfonsi exprime le fort mécontentement des militants des langues régionales. Il prend l’image d’un nœud coulant qui étrangle ces langues et qui est en train de se resserrer inexorablement. Il confirme l’effet négatif de la réforme des lycées sur les Langues Régionales. La mise en concurrence risque de se traduire par un assèchement des effectifs : est-ce l’effet souhaité ? Il souligne aussi la concurrence déloyale entre langues et cultures de l’Antiquité et langues régionales.

Il rappelle les propos du ministre sur la pédagogie immersive, qui ont heurté les praticiens de cette pédagogie.

Il y a urgence, selon lui, à rétablir un dialogue que les propos tenus et les mesures prises ont mis à mal.

Intervention de M. Jean-Marie Whoerling

Jean-Marie Woehrling relève que les résultats du cadre actuel de l’enseignement des langues régionales sont clairement négatifs. Les modalités de cet enseignement méconnaissent directement les dispositions de l’article L 312-10 du code de l’éducation aux termes duquel « Les langues et cultures régionales appartenant au patrimoine de la France, leur enseignement est favorisé prioritairement dans les régions où elles sont en usage ». Ce constat n’est d’ailleurs pas contredit par les représentants du ministère. S’il est nécessaire de modifier d’urgence certains aspects de cadre, particulièrement nocifs pour les langues régionales, notamment en ce qui concerne la réforme du bac, le respect des dispositions institutionnelles et législatives exige une organisation en profondeur du régime d’enseignement de ces langues et donc une modification cadre législatif, lequel doit garantir un droit des parents et élèves à l’enseignement dans la langue régionale et par conséquent une offre appropriée, laquelle implique un vrai système de formation efficace des futurs enseignants en langue régionale et de formation complémentaire des enseignants en place.

Il constate qu’actuellement la formation des enseignants en langue régionale repose trop souvent sur leur propre initiative et leur dévouement, alors qu’un vrai système de formation devrait donner aux futurs enseignants les compétences linguistiques t pédagogiques pour enseigner en langue régionale dans les différents niveaux d’enseignements (maternelle, primaire, collèges, lycées, secteur professionnel).

Pour illustrer le caractère désastreux du contexte actuel de l’enseignement des langues régionales, il prend l’exemple de la langue régionale d’Alsace, l’allemand, pour laquelle, malgré le fait qu’elle est aussi une grande langue internationale, les conditions actuelles de l’enseignement ont conduit à un effondrement des connaissances dans les 30 dernières années.

Édouard Geffray évoque alors la difficulté de pourvoir les postes au concours du CAPES d’allemand et au concours spécial des professeurs d’écoles. Ce à quoi il peut être répondu que l’insuffisance de candidature est la conséquence directe de la manière dont cette langue est traitée dans le secondaire et de l’absence de formation appropriée.

Pour finir, Jean-Marie Woehrling évoque la situation de la filière associative en Alsace, Moselle, l’association ABCM- Zweisprachigkeit étant constamment en butte à l’hostilité du rectorat, lequel notamment ignore ses demandes de postes contractualisés.

Les réponses des interlocuteurs

Mathieu Lahaye conclut la rencontre en rappelant trois éléments :

  • le ministre est attaché aux langues régionales ;
  • Il existe une politique linguistique sur les langues régionales au sein du ministère de l’Education nationale ;
  • le ministre est très attaché au multilinguisme, dont l’intérêt stratégique grandit par la montée en puissance de l’anglais et de l’espagnol dans le monde.
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