2205-23-Circulaire « Mare Nostrum », une libre opinion d’Emmanuel Isopet, CREO Toulouse.

NB CA FELCO

ce texte n’a pas été soumis à l’approbation du conseil d’administration de la FELCO. Nous le publions comme une libre expression et une contribution au débat.

Nous ajouterons que, quelles que soient les intentions du Ministère dans la rédaction de cette circulaire (https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo12/MENE2204039N.htm), nous pouvons le prendre au pied de la lettre dans les établissements (au moins 2 à notre connaissance, en Périgord et en Lozère) où des chefs d’établissements ont tenté de refuser le cumul des options latin et occitan.

Le parcours Mare Nostrum et la coordination de la politique académique des langues et cultures de l’Antiquité

BO n°12 du 24 mars 2022[1]

 Un titre comme on les aime

            Tout d’abord, quelques remarques sur le titre. Ce que Monsieur le Ministre fait, dans le cadre de « l’alliance européenne des langues anciennes »[2]  c’est bien la promotion du latin et du grec dans l’enseignement secondaire. Est-ce destiné à tous les élèves ? Non, cela est bien précisé. Seulement à ceux qui font déjà du latin ou du grec. Élitisme ? « l’alliance européenne des langues anciennes » a été créée lors d’un colloque au lycée Louis-le-Grand. Est-ce un symbole volontaire ?

            Ce dispositif est clairement, puisque cela est répété de nombreuses fois, « en faveur du déploiement de l’enseignement des langues et cultures de l’Antiquité ». Vous aurez bien sûr compris, du latin ou du grec, pas de l’hébreu, du sanskrit, du sumérien ou de l’égyptien ancien.

            Faut-il revenir sur le choix du nom du dispositif ? Mare nostrum : une locution latine moins impériale, voire impérialiste, aurait-elle pu être proposée pour transmettre à nos élèves « une culture riche et diverse, [pour] promouvoir une citoyenneté ouverte sur l’Europe et le monde, […] et renforcer les valeurs humanistes communes »[3] ? D’autant que « Mare nostrum » semblerait limiter le dispositif à une certaine zone géographique, alors que si l’étude du latin et du grec sont indispensables il doit être associé à une autre langue « sans limiter les couplages aux seules langues de la Méditerranée ». Bon…

Des conceptions d’un autre temps

            Évidemment, il faudra passer sur de vieilles rengaines qu’il est navrant de voir reprises dans une si sérieuse communication. Une phrase comme « Par leur esprit et par leur objet, les langues et cultures de l’Antiquité contribuent à la construction d’une conscience individuelle humaniste et moderne. » veut-elle nous faire croire que ces langues « par leur esprit et leur objet » ne peuvent porter des valeurs rétrogrades d’égoïsme et d’ignorance ? Ou voudrait-on nous faire conclure que d’autres langues (que nous ne citerons pas et d’ailleurs que nous n’enseignerons pas) ne pourraient porter ces vertus cardinales ? Relevons sans la répandre, pour ne pas couvrir de honte ses auteurs, cette phrase percluse de vieux concepts nauséabonds et passons à autre chose.

Mare Nostrum et les langues régionales

            Puisque je suis enseignant de langue régionale et que ce dispositif nous a été promis comme valorisant les langues régionales, je suis curieux de voir comment cette promotion des langues et cultures de l’Antiquité nous aidera dans notre enseignement.

            En fait, bien peu de chose. S’il est obligatoire de suivre un enseignement de LCA, la langue régionale ne sera qu’un élément culturel de cette heure hebdomadaire. Pour tout dire, ce que l’on appelle désormais le « parcours Mare Nostrum » n’est autre que le « parcours roman » des années 2000. Nous en avons déjà goûté les limites.

            Cependant, dans ces objectifs, Mare nostrum a bien pour ambition de « promouvoir une citoyenneté ouverte sur l’Europe et le monde ». Cela nous intéresse particulièrement. C’est pourquoi nous regrettons que les citoyens européens français ne jouissent pas encore des mêmes droits que leurs voisins et concitoyens de l’Union, puisque la Charte européennes des langues régionales ou minoritaires n’est toujours pas ratifiée par notre République.

            Vous l’aurez compris, rien à gagner pour nos langues. Mais je garde le plus savoureux pour la fin.

Et la mise en œuvre ?

            Du côté des élèves, le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne seront guère récompensés de leur parcours. Une heure hebdomadaire de la 5e à la Terminale pour rien en termes de point au bac ou au DNB.

            Aurais-je le mauvais goût de parler du côté des enseignants ? Comment la concertation, chaque année, pour proposer un programme et des projets, sera-t-elle organisée ? Sur le bénévolat, bien sûr. Et pour l’heure de cours ? Nous pouvons choisir la co-intervention est-il écrit : bénévolement également ? Et cette heure hebdomadaire est financée par ? L’établissement ? La DSDEN ? Mais comment cela serait-il possible puisqu’il n’y a pas assez de marge de manœuvre pour financer les heures d’occitan ? Mais je m’arrête car dans l’Éducation nationale il est toujours malvenu de parler de moyens, c’est à dire d’argent[4].

Alors, que conclure ?

            Certains chicaneurs sont allés relever un détail (mais le diable est dans les détails). Veut-on promouvoir les langues régionales ? Une phrase y répond par un lapsus dès le préambule « en rendant possible la confrontation de l’héritage des civilisations grecques et latines avec les langues vivantes et régionales »… Bien sûr, vous l’aurez compris, il manque le mot « étrangères » ! les « langues vivantes étrangères et régionales » ! Une petite maladresse qui pourrait laisser penser à certains esprits chagrins que pour le Ministre, ou Monsieur Geffray, DGESCO, que les langues régionales ne sont pas des langues vivantes. La politique de ce quinquennat serait illustrée à merveille par ce lapsus.

            Bref, ce « Mare Nostrum » apportera-t-il quelque chose à l’enseignement de nos langues régionales ? Rien. Bien sûr. Et à l’enseignement des langues et cultures de l’Antiquité alors ? Et bien malheureusement, ce sera également une réponse négative. Tout ça pour ça.

[1]https://www.education.gouv.fr/bo/22/Hebdo12/MENE2204039N.htm

[2]https://www.education.gouv.fr/pour-une-defense-europeenne-des-langues-anciennes-326149

[3] je me suis permis d’amputer la citation de « assurer une meilleure employabilité à l’issue du système scolaire » qui me semble relever d’autres préoccupations, que ne sont d’ailleurs pas au cœur de la fameuse alliance européenne.

[4]Cette peur de parler d’argent est-elle issue de notre passé latin ? C’est possible, mais plutôt de la période des Pères de l’Église. Catholique et Romaine, cela va sans dire.

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