16-01-24 – Le collectif « Pour que vivent nos langues écrit au Premier ministre

Le Collectif POUR QUE VIVENT NOS LANGUES
Chez l’association Eltern Alsace
11 rue Mittlerweg, F-68025 COLMAR Cedex

à Monsieur Gabriel ATTAL, Premier ministre

 Objet : Le « choc des savoirs » et les langues régionales. Les langues régionales dans le Diplôme national du brevet

Monsieur le Premier ministre,

Nous tenions tout d’abord à vous féliciter pour votre nomination. Vous avez récemment déclaré lors de votre nomination que vous alliez “ « emmener [avec vous] à Matignon la cause de l’école ». C’est pourquoi nous vous adressons cette lettre dans la continuité de votre action précédente au Ministère de L’Éducation Nationale.

Notre collectif souhaite ainsi revenir sur vos propos, le 5 décembre dernier, dans un document intitulé « Choc des Savoirs – élever le niveau de notre école », alors que vous étiez encore Ministre de l’Éducation nationale.

Nous avons été surpris qu’aucune des associations regroupées au sein de notre collectif, représentant les fédérations de parents des filières bilingues français / langues régionales, les associations d’enseignants en langues régionales et les réseaux associatifs d’enseignement immersif en langues régionales, n’ait été consultée au moment où se préparait ce document programmatique. De fait, l’enseignement de et en langue régionale n’a pas été pris en compte dans la concertation.

Cet oubli va à l’encontre des paroles du président de la République qui déclarait, le 30 octobre 2023, lors de l’inauguration de la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts : « Toutes les langues sont égales du point de vue de la dignité, c’est pourquoi je veux que nos langues régionales soient encore mieux enseignées ».

Sachant l’intérêt que vous portez aux questions scolaires, nous ne doutons pas, Monsieur le premier Ministre, que vous saurez apporter à vos propos les précisions qui s’imposent, précisions que nous sommes en droit d’attendre, faute de quoi certaines de vos annonces ne pourraient qu’avoir un impact négatif sur nos enseignements.

Les annonces du 5 décembre 2023 mettaient l’accent sur des programmes « de langues plus précis pour un enrichissement linguistique, historique et culturel ». Or, nous constatons pour notre part que la circulaire concernant les langues Régionales du 14 décembre 2021 (circulaire censée résoudre la crise générée par la censure partielle du Conseil constitutionnel de la loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion, et issue d’un arbitrage politique en haut lieu) n’est toujours pas pleinement mise en œuvre, notamment pour la définition des programmes en langues régionales.

La même circulaire de décembre 2021 indique que dans le cadre de l’enseignement bilingue, « le temps de pratique de chacune des deux langues peut varier dans la semaine, l’année scolaire, ou encore à l’échelle des cycles, en fonction des besoins effectivement constatés ». Or, concernant les attendus programmatiques annuels – notamment en maîtrise de la langue dans l’enseignement primaire – que vous proposiez, monsieur le premier Ministre, nous sommes également inquiets quant à l’absence de mention de la spécificité de nos enseignements bilingues ou immersifs qui ont pourtant fait leurs preuves quant à la maîtrise égale de la langue régionale et du français. Nous ne doutons pas que vous aurez à cœur de réaffirmer cette particularité et de rassurer l’ensemble des acteurs concernés, parents et enseignants.

Vos propos du 5 décembre portaient également sur une refonte du socle commun avec des connaissances de culture générale qui valident l’acquisition des repères mentionnés dans les programmes. Nous espérons que cette refonte, pour le cas où elle serait toujours d’actualité, sera enfin l’occasion de donner aux cultures régionales leur juste place.

Ces mêmes annonces évoquaient aussi l’instauration de manuels labellisés en CP et CE1 dès 2024. Nous nous permettons de rappeler que ces manuels devront être disponibles dans la langue d’apprentissage des élèves, et au vu des difficultés récurrentes des structures publiant des manuels scolaires en langue régionale, nous espérons que les moyens adéquats – humains et matériels – seront déployés pour atteindre cet objectif.

Au niveau de l’organisation du collège, vous indiquiez la mise en place, à compter de 2024, de groupes de niveaux en mathématiques pour les classes de 6e et 5e. Nous nous interrogeons sur la possibilité de continuer un enseignement de mathématiques en langues régionales dans les sections bilingues à partir de cette base. Pour un établissement proposant des sections bilingues français-langues régionales, il faudrait théoriquement diviser les élèves en 6 groupes, ce qui semble impossible dans la plupart des établissements qui n’ont que des effectifs de taille moyenne.

D’autre part, nos associations ont pris connaissance avec consternation du courrier de la DGESCO en date du 20 novembre 2023 rappelant le « Cadre réglementaire pour l’utilisation des langues régionales dans le cadre du Diplôme national du brevet ».

À ce jour, n’importe quel élève de 3ᵉ suivant un enseignement bilingue en langue régionale peut présenter l’épreuve d’histoire-géographie en langue régionale ; certains élèves peuvent présenter l’épreuve de mathématiques en langue régionale et les élèves des réseaux Seaska et Diwan peuvent, depuis 2023, présenter l’épreuve de sciences en langue régionale. Alors que, dans le cadre en vigueur jusqu’à la dernière année scolaire, les consignes étaient traduites en langue régionale, le courrier adressé le 20 novembre aux recteurs et aux chefs d’établissement indique que désormais « quelle que soit la langue de composition, les sujets et les documents d’accompagnement des sujets ne sont pas traduits en langue régionale et demeurent en français ». Cette décision, qui s’appuie curieusement sur « l’équité de traitement pour tous les élèves », et dont la rédaction laisse croire qu’il s’agit d’un simple rappel des règles, est en réalité un grave recul pour nos langues régionales. Il nous semble que l’« équité » voudrait que les élèves qui ont choisi de passer certaines épreuves du DNB en langue régionale ne soient pas pénalisés par la suppression d’une procédure à laquelle ils ont été préparés, et qui conforte, symboliquement, le statut de la langue qu’ils étudient, souvent dans des parcours bilingues, depuis leur entrée dans le système scolaire.

Pour rappel, la circulaire de 2017 sur l’enseignement des langues régionales mentionnait que « par souci de cohérence pédagogique, les consignes des exercices concernés sont traduites en langue régionale ». Sans doute est-ce pour des raisons d’urgence dans la rédaction de la nouvelle circulaire de 2021 (suite à la censure partielle du Conseil Constitutionnel), que cet élément n’a pas été repris dans le nouveau texte de décembre 2021.

Nous rappelons, par ailleurs, que le contenu de ce courrier du 20 novembre semblait ignorer non seulement la pratique que nous signalons, mais encore les textes officiels les plus récents (loi du 21 mai 2021 relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion et circulaire concernant les langues Régionales du 14 décembre 2021, qui avaient pour but d’améliorer le statut des langues régionales dans notre système éducatif). Nous avons donc du mal à comprendre comment ce courrier pouvait s’inscrire dans cette démarche

Dans l’attente d’une réponse écrite à ces demandes d’éclaircissements, nous vous prions de croire, Monsieur le Premier Ministre, à notre attachement au service public de l’Éducation nationale.

Pour le Collectif « Pour Que Vivent Nos Langues »

Peio JORAJURIA
Président de Seaska
Membre d’Eskolim
(Fédération
d’écoles associatives
enseignant en langues régionales
en immersion linguistique).
Martine RALU

Présidente de l’association Òc-Bi
pour le bilinguisme français-occitan
dans l’enseignement public,
Vice-présidente de la Flarep
(Fédération pour les langues régionales
dans l’enseignement public)

 

 

 

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