Voir l’original au format PDF : 2002-15-FELCO – DEPUTATS France insoumise – intervention Lachaud loi Molac
Objet : intervention de Bastien Lachaud lors des débats sur la loi Molac (13 février 2020)
Mesdames, Messieurs les députés du groupe La France Insoumise,
Notre association, la Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’oc – FELCO : http://www.felco-creo.org/, qui œuvre pour l’enseignement public de l’occitan et son développement, a été particulièrement surprise et choquée par les propos tenus par Bastien Lachaud, député de votre groupe, lors du débat sur la proposition de loi du député Paul Molac du 12 février dernier[1].
Nous passerons rapidement sur la référence (assez rituelle) de Monsieur Lachaud au club des Jacobins. Ce club ayant connu plusieurs scissions entre 1789 et 1794, il aurait été judicieux de préciser dans quel jacobinisme il se reconnaissait.
Et plus judicieux encore de se référer à un texte législatif républicain plutôt qu’à l’ordonnance de Villers-Cotterêts[2] signée d’un monarque de droit divin, pour légitimer la place de la langue française dans notre République. Ce fétichisme pour ce vieux texte de 1539, M. Lachaud le partage avec le Président de la République, ce qui d’ailleurs ne prouve rien. M. Lachaud a été, nous dit-on, professeur d’histoire. Il n’imagine donc pas, nous l’espérons, que compte tenu des pratiques linguistiques du XVIe siècle dans le royaume, remplacer le latin par le françois du Roy changeait quoi que ce soit pour le justiciable ordinaire, ne serait-ce que parce que le juge qui envoyait pendre un gueux se souciait peu de savoir s’il comprenait pourquoi.
Monsieur Lachaud n’ignore sans doute pas par ailleurs que l’ordonnance met fin, de facto, à une utilisation de l’occitan dans le registre administratif et juridique qui va du XIIe siècle au XVIe: c’est alors la seule langue régionale dans ce cas.
Bref, on sait bien qu’en 1539 la promotion du français visait moins à permettre aux sujets de « mieux se défendre » qu’à rendre plus aisé le contrôle de l’administration royale.
Et surtout, M. Lachaud ne peut manquer de savoir que parmi les 192 articles de ce texte sacré figure la réglementation de la torture, dont nous supposons qu’elle ne fait pas partie du projet de la France Insoumise, et qu’il interdit aussi les « coalitions ouvrières », autant dire les futurs syndicats, comme d’ailleurs plus tard la loi de 1791 de Le Chapelier, un vrai jacobin, lui.
Bien plus grave que ces débats historiques : nous sommes désagréablement surpris de constater à quel point le représentant de la France Insoumise méconnait la situation actuelle des langues régionales. Leur faiblesse est bien due, en partie, aux politiques passées et présentes. Il faut savoir le reconnaître.
Monsieur le Député a évoqué la question des panneaux de signalisation routière bilingues dans de nombreuses régions « sans que cela ne pose problème » semblant ignorer les difficultés rencontrées par les associations de promotion de langues régionales et les collectivités en la matière. À titre d’exemple nous pouvons rappeler l’affaire de l’installation de tels panneaux à Villeneuve-les-Maguelone (34).
Cela étant, notre association d’enseignants est avant tout préoccupée par les attaques sans précédent contre l’enseignement des langues régionales que mène le gouvernement actuel.
Monsieur Lachaud dit, et croit peut-être que « tous les élèves qui le souhaitent peuvent choisir une langue régionale pour le Bac ». C’était vrai jadis mais ce ne l’est plus désormais. Monsieur le Député n’est, semble-t-il, pas informé de la réforme du Baccalauréat mise en place par le Ministre Blanquer et de ses conséquences :
– La dévalorisation de l’option facultative devenue LVC (à l’exception des langues de l’Antiquité) avec un coefficient ridicule (moins de 1%) a entrainé dès cette année une baisse de plus de 20% des effectifs étudiant l’occitan en lycée et la fermeture des cours dans une vingtaine de lycées.
– On ne peut plus s’inscrire en candidat libre pour présenter une épreuve de langue régionale qui existait depuis 1951, ce qui prive de nombreux élèves de la possibilité évoquée par Monsieur le Député. À présent, seuls les lycéens suivant un enseignement de langue régionale dans leur établissement peuvent présenter cette épreuve, ce qui réduit singulièrement le nombre de candidats potentiels. Il faut savoir qu’aucun lycée ne propose cette option dans l’académie de Clermont et que dans celles de Limoges et Grenoble, un seul établissement la propose. Dans l’académie de Toulouse, la mieux pourvue – si l’on peut dire – l’occitan n’est proposé que dans un lycée sur cinq, un seul dans le département du Gers, un seul pour la ville de Toulouse. Il nous paraît difficile dans ces conditions de nier la faiblesse de l’offre, contrairement aux affirmations du ministre, auxquelles M. Lachaud semble croire.
La conséquence : le nombre de lycéens qui présenteront l’occitan au bac 2021 devrait être en chute libre avec une moyenne de 60% de baisse (parfois plus de 80 % dans certains départements). Sachant cela, peut-on encore affirmer, avec MM. Blanquer et Lachaud, que les langues régionales sont protégées et valorisées en France et que la réforme du lycée les renforce ?
Clairement, la menace qui pèse sur nos langues n’est pas « chimérique » comme l’a dit Monsieur Lachaud. Nos langues ne sont pas « bien protégées ». Notre pays est d’ailleurs régulièrement montré du doigt par les institutions internationales à ce sujet.
Votre groupe ne souhaite pas que les langues régionales soient favorisées par rapport à d’autres. Sur ce point, M. Blanquer pourrait le rassurer : elles sont toutes dans le même bateau. Le dernier rapport de l’Association des Professeurs de Langues Vivantes (étrangères et régionales) : https://www.aplv-languesmodernes.org/spip.php?article7993 démontre que l’enseignement de toutes les langues (hors l’anglais) est menacé en France. Avec une nuance : si les langues régionales ne sont pas enseignées en France, elles ne le seront nulle part. Elles sont donc en danger de mort à court terme comme l’a signalé l’UNESCO dans son dernier classement. Pouvez-vous décemment être complices de l’affaiblissement de la diversité linguistique et culturelle de notre planète ? À l’heure où l’on parle à juste titre de défendre la biodiversité, peut-on oublier que les langues en font aussi en quelque sorte partie ? Pour les sauver et les promouvoir, nos langues doivent bénéficier d’une politique volontariste.
Enfin, Monsieur Lachaud semble sous-entendre, et c’est une insulte pour nous, fonctionnaires dévoués au service public de l’école de la République, que l’apprentissage d’une langue régionale se ferait contre l’apprentissage des autres langues ou au détriment des élèves allophones. Nous l’invitons à venir nous rencontrer dans nos classes pour constater que les élèves qui s’intéressent aux langues régionales sont aussi parmi les meilleurs dans les langues étrangères. Il constatera aussi, et il pourra vous le dire, que les langues régionales sont des facteurs d’intégration pour les élèves allophones ou issus des migrations, et non un enfermement. Et si on arrêtait avec les clichés ?
Monsieur Lachaud conclut sur la réaffirmation de la nécessité de préserver l’unité nationale, en rappelant qu’il ne peut y avoir que le français comme seule langue officielle. Il voudra bien remarquer que la lettre que nous vous adressons est justement rédigée dans cette langue. Et vous voudrez bien admettre que le rappel de ce principe constitutionnel adopté il y a moins de trente ans pour lutter contre l’anglais, paraît-il, avec les résultats que nous constatons chaque jour, ne doit pas nous faire confondre langue commune et langue unique. Il nous semble important, pour l’équilibre et le bien-être de notre société de faire vivre la diversité et notamment les langues historiques de notre territoire national.
Nous espérons que nos remarques vous permettront de réajuster la position de votre groupe sur les langues régionales en général et que nous pourrons bénéficier de votre soutien pour faire modifier rapidement la réforme du Baccalauréat qui nous inquiète particulièrement. Car nous ne doutons pas que tous, dans votre groupe, ne partagent pas les positions peu ouvertes de M. Lachaud.
Si vous le souhaitez, nous sommes prêts à vous rencontrer pour approfondir vos connaissances et vos analyses sur la question.
Soyez assurés, Mesdames, Messieurs les députés, de nos plus sincères salutations républicaines
P/O Yan Lespoux, président de la FELCO, Marie-Jeanne Verny, cosecrétaire.
[1] Voir http://videos.assemblee-nationale.fr/video.8757416_5e455466784c2.2eme-seance–mesures-de-justice-sociale-suite–fonds-de-garantie-des-victimes-des-actes-de-terro-13-fevrier-2020 et aussi les séances suivantes du même jour.
[2] Voir http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/Edit_Villers-Cotterets.htm