14-01-23 – vient de paraître : Michel Launey, La République et les langues

Raisons d’agir éditions, 5 rue de Charonne, Paris, 29 €, 912 pages.

Présentation générale

         Dans nos représentations et nos débats, les langues sont pensées sous un angle social, sociétal, culturel, identitaire, ou simplement utilitaire, mais très rarement linguistique, à savoir : comme des constructions intellectuelles sophistiquées, élaborées par des communautés d’êtres humains ordinaires, pour produire du sens. Ce silence va de pair avec leur instrumentalisation à contre-emploi dans des relations de pouvoir, de conflictualité, de hiérarchie, jusqu’au suprémacisme.

         De telles dérives sont bien présentes dans l’histoire de la France, où l’État a contribué à l’institution d’une langue nationale, mais aussi rencontré d’autres langues, parlées par ses ressortissants dans l’égalité citoyenne ou l’inégalité coloniale, et mené, selon les langues et les époques, des politiques variables mais le plus souvent défavorables, l’école étant un point névralgique. La position dominante de la langue française se double d’un idéal de pureté et d’homogénéité, qui en délégitime toute variation, et met ses locuteurs dans l’insécurité.

         Mais si l’on applique à la grammaire du français – et de toute langue – une analyse rationnelle et dépassionnée, on met à jour des stratégies significatives, également plausibles et souvent élégantes, ouvrant un espace au plaisir intellectuel, à l’admiration de l’ingéniosité individuelle et collective des êtres humains, et à l’apaisement – car, contrairement aux religions, les langues admettent plusieurs identités et plusieurs appartenances.

         Michel Launey, linguiste, est l’auteur d’études sur deux langues amérindiennes (nahuatl et palikur) et sur le français comme langue de scolarisation en contexte plurilingue.

Introduction : Le plurilinguisme dans notre monde, dans notre pays… et dans nos têtes

Faut-il avoir peur de 6 000 langues ? – Pourquoi les États tendent à être monolingues – Les vertus négligées du bilinguisme – Bilinguisme du riche et bilinguisme du pauvre – Les langues comme constructions intellectuelles, productrices de sens

Première partie : les langues dans le temps et dans l’espace

Chapitre 1. Organiser les connaissances

Babel n’est pas forcément une malédiction – Débuts de la grammatisation au XVIe siècle – La classification génétique : ce que l’histoire apporte à la géographie – Aucune langue n’est seule au monde… – Pourquoi il n’y a pas de langue « pure » – Familles élargies et hypothèse indo-européenne – La classification typologique, par « ressemblances »

Chapitre 2. La connaissance, au péril des chauvinismes et des idéologies

L’idéal d’homogénéité et de pureté – La théorie du bilinguisme nocif – La « clarté » et l’imposture de Rivarol – La typologie contaminée par la hiérarchisation, au profit des langues flexionnelles – Les dérives fantasmatiques des études indo-européennes

Chapitre 3. Altérité légère ou identité imparfaite ?

Les dialectes : variantes régionales, ni tout à fait semblables, ni tout-à-fait autres – Ceux qui ont du succès… et les autres – Emboîtements et enchevêtrements : les isoglosses – La manipulation politique des degrés d’altérité : quand on se dit unis ou séparés, quel que soit le degré d’altérité – Comment ne pas prendre parti dans la hiérarchisation des glossonymes – Séparations officielles, consensuelles ou conflictuelles – Comment apaiser les querelles par une explicitation des différences – Les koinès : avantages et inconvénients, amenant de nouvelles conflictualités – Pourquoi les créoles sont des langues spécifiques, et non des variantes « dégradées » de langues européennes

Chapitre 4. Une langue en bonne ou en mauvaise société

La variation sociolectale – Registres et niveaux de langue – « Langue des banlieues », ou « langue des jeunes », seule variation aujourd’hui sensible, et réprouvée – Y a-t-il des « mélanges » de langues ? – Le purisme : une passion triste – La dysorthographie : une variation trop aléatoire pour constituer des variantes

Deuxième partie : petite histoire du français et des langues en France

Chapitre 5. Le français, de la naissance à la Renaissance

IXe siècle : altérité avec le latin assumée par le passage à l’écrit – L’altérité s’émancipe par la « langue des rois » – De quoi Villers-Cotterêts est-il le nom ? – Prestige et plaisir littéraires de la langue – Connaissance et équipement par la grammaire et la graphie

Chapitre 6. L’absolutisme linguistique et ses contrepoids

Au XVIIe siècle, l’État et les « honnêtes gens » prennent le pouvoir sur la langue – Début du chauvinisme linguistique, contre les langues étrangères, et même contre le latin, qu’un ordre des mots plus libre rendrait illogique – Dégénérescence de la grammaire au profit des « Remarques » émiettées – Trois exceptions, mais loin de la Cour – Au XVIIIe siècle : renouveau de la réflexion grammaticale, début des exercices scolaires, et intérêt intellectuel pour les « patois »

Chapitre 7 La Révolution : naissance d’une conflictualité

Les « patois » : une non-doléance – Le temps des traductions – L’enquête de Grégoire – Le débat : représentations et opinions – Naissance de l’école de la République et dérives intolérantes – Comment les « patois » deviennent des ennemis de la nation

Chapitre 8 1800-1945 : latence politique, renouveaux culturels et questions scolaires

1806 : enquête officielle sur les « dialectes populaires » – Les changements économiques et sociaux menacent la diversité linguistique – Mais elle est valorisée par des érudits et des écrivains – L’école impose le monolinguisme : la « méthode directe » – Le malaise alsacien – Pour les sourds-muets : une maltraitance linguistique extrême

Chapitre 9. 1951-1994 : Des valorisations croisées et ambiguës

Loi Deixonne (1951) : les langues régionales acquièrent une présence scolaire au moins symbolique – Circulaires Savary (1982) – Constitutionnalisation du français (1992) – Loi Toubon (1994)

Chapitre 10 : Des langues dont on ne sait plus quoi faire

La Charte européenne de 1992 – 1999 : trois rapports (Poignant, Carcassonne, Cerquiglini – il y aurait 75 « langues de France » concernées par la Charte !) et intenses polémiques – 2008 : constitutionnalisation symbolique des langues régionales et nouvelles polémiques – 2013 : nouvelles velléités sans effet – 2021 : loi Molac, partiellement censurée par le Conseil Constitutionnel – La réforme du baccalauréat met en danger les enseignements de langues régionales et « rares »

Troisième partie : rencontres extra-hexagonales

Chapitre 11. Les langues dans l’empire colonial

Une altérité linguistique et culturelle beaucoup plus forte dans une relation inégalitaire, déclinée différemment selon les époques et les territoires – Connaître les langues pour échanger des biens et diriger les âmes – Des langues subalternes, entre professionnels et vie quotidienne – L’école coloniale et les langues, entre le refus par déni d’existence (créoles) ou prétexte d’impossibilité (Afrique Noire), mais aussi le respect (Inde, Indochine), et divers arrangements (Afrique du Nord, Madagascar, Océanie)

Chapitre 12 : Éloge des langues d’Outre-mer

Situation postcoloniale : faible présence des langues ultramarines dans les débats sur les langues régionales – Une présence scolaire mieux pensée ? – LCR créole : soutien à un bilinguisme existant – ILM (Intervenants en Langue Maternelle) : le laboratoire guyanais – L’exception wallisienne et futunienne – Les langues kanak dans le « destin commun » – La Polynésie dans le basculement linguistique – Le malaise mahorais

Chapitre 13. Les autres et leurs langues, plus ou moins légitimes

Tradition et déclin des enseignements de langues anciennes – Les langues orientales sous l’Ancien Régime et à partir de la Révolution – Passage lent des langues vivantes étrangères à un statut disciplinaire – Marché florissant du multilinguisme (édition, enseignement public et privé) – Hégémonie croissante de l’anglais – Détestation croissante de l’arabe – Misère de l’interprétariat – La scolarisation des allophones : FLE, FLS, ELCO, EILE… – Le cadre européen : des clarifications et des ambiguïtés

Chapitre 14 : Passages et partages du français

Les institutions de la Francophonie – Les écrivains francophones : étrangers, colonisés et ex-colonisés – « Pour une littérature-monde en français » – La parole des exilés (et surtout des exilées) : épreuves et bonheurs de la francophonie par nécessité

Quatrième partie : le français pour lui-même – une grammaire mal aimée

Chapitre 15. Gloire du lexique, misère de la grammaire

Primauté du lexique sur la grammaire dans les conceptions naïves du langage et réputation d’ennui de la grammaire – Mécanique et métalangue : les deux sens de grammaire – L’écriture : une nécessité, et un carcan – Un vocabulaire de spécialité d’origine diverse et incitant parfois à la confusion

Chapitre 16. La grammaire française comme investissement éducatif et idéologique

Investissement politique dans les grammaires scolaires à partir de la Révolution – Le règne néfaste de Noël et Chapsal – Le fiasco de la Grammaire de l’Académie – Après 1968 : brève rencontre avec la linguistique – Années 1990 : montée de disciplines connexes et de la « grammatophobie » – Réaction après 2002 – 1990 : tentative de « modernisation » de l’orthographe – 2021 : la GGF (Grande grammaire du français)

Chapitre 17. Ce que ne disent pas les grammaires… et ce qui s’ensuit

Évaluation nuancée – La phonétique, grande absente – « Gallicismes » et autres tournures mises sous le boisseau : quelques beautés bien cachées de la langue – Le sujet-thème et la stratégie de l’information – Absence de ce paradigme dans la tradition scolaire, avec des conséquences politiques malheureuses (bévue constitutionnelle, fiasco de l’introduction du prédicat dans les programmes scolaires)

Cinquième partie : État des lieux en début de siècle

Chapitre 18. Heurs et malheurs du français quand on ne pense qu’à lui

Mesures vexatoires contre les immigrés allophones – Montée en puissance des suprémacistes néo-rivaroliens : arguments absurdes, informations erronées ou falsifiées, raisonnements confus – Jeux mondains où le français n’est apprécié que pour ses complications, de préférence irrationnelles – La certification Voltaire, ou la marchandisation de la langue – Quand la société s’empare de la grammaire : la querelle du genre et au-delà – Des valorisations bien venues, par la compétence et l’humour

Chapitre 19. Le français en bonne compagnie

La pluralité des langues, entre connaissance, éthique et utilité sociale – La traduction mieux pensée – Les essayistes des identités partagées – L’humour et le plaisir entre les langues – L’école, entre le cloisonnement disciplinaire et les approches plurielles – De nouveaux regards ambigus sur la francophonie

Conclusion : Homo significans

Chauvinisme et connaissance – Le lexique et la grammaire comme œuvres, non de pouvoirs ou d’élites, mais de collectivités d’individus ordinaires, doués de grandes capacités d’abstraction pour résoudre des problèmes de signification – Pour une formation des enseignants à des notions minimales de phonétique et de typologie générales – La responsabilité politique des linguistes

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