Monsieur le Ministre,
le jury de l’agrégation des Langues de France s’est réuni à Paris les 7, 8 et 9 juin 2018 pour faire passer, pour la première fois, les épreuves orales de ce concours nouvellement créé. La mise en place d’une agrégation des Langues de France est une revendication ancienne des défenseurs de ces langues, régulièrement rappelée par les organisations professionnelles d’enseignants du second degré, et dont l’importance a été souvent soulignée par la 73e section du CNU « Langues et cultures régionales ». Pour tous, il est clair que l’existence de ce concours peut contribuer à soutenir l’excellence de l’enseignement secondaire et universitaire dans les langues concernées ainsi qu’à encourager la recherche de haut niveau et sa valorisation. L’agrégation constitue par ailleurs une perspective légitime de promotion que les enseignants certifiés de breton, corse, occitan, basque, catalan, créole, tahitien sont en droit de se voir proposer, comme leurs collègues des autres disciplines ou d’autre agents de la fonction publique.
Les espoirs qu’avait suscités la création du concours et son ouverture cette année au breton, au corse et à l’occitan-langue d’oc, cèdent aujourd’hui le pas à la déception et à l’inquiétude. Une première forte déception a été provoquée par l’annonce du nombre des postes proposés, un seul pour chacune des langues concernées, bien en-deçà de ce que demande l’enjeu historique de la valorisation de langues que la Constitution française, dans son article 75-1, reconnaît désormais comme partie intégrante du « patrimoine de la France », tandis que l’Unesco les caractérise, elle, comme des « langues en danger », voire « en extinction ». Bien en-deçà aussi, comme les recrutements du CAPES, des besoins démographiques et territoriaux des langues concernées. Bien en-deçà enfin de ce que devrait être une offre de postes donnant aux certifiés des langues concernées des perspectives raisonnables de promotion.
La déception se double de lourde inquiétude quand nous constatons, alors que nous sommes au mois de juin, que nous ne savons toujours pas si et comment le processus d’ouverture progressive du concours se poursuivra l’année prochaine. Le concours devait, après le breton, le corse et l’occitan s’ouvrir l’an prochain au basque et au catalan, en attendant le créole et le tahitien l’année suivante. Le jury de l’agrégation des Langues de France souhaite que cette ouverture élargie soit confirmée au plus tôt et qu’elle ne s’accompagne en aucun cas de la fermeture des sections déjà ouvertes. Sans cette assurance rapidement donnée, il sera impossible d’organiser une préparation pour la prochaine rentrée universitaire.
L’agrégation des Langues de France est un concours qui ne contribue pas seulement à l’existence et à la qualité de savoirs et de disciplines, il est aussi au service de langues que la République s’engage désormais, par sa Constitution, à protéger et donc est un élément de la politique linguistique de la République française. Seuls des concours de recrutement d’enseignants, CAPES et agrégation, avec un niveau de recrutement significatif et constant, année après année, peuvent jouer le rôle d’assurer, en amont, la construction d’un savoir de haut niveau associé à une pratique vivante des langues concernée, et en aval la transmission adaptée de cette pratique vivante et de ces savoirs auprès des élèves et de la société où ces langues vivent.
Pour nous, jury de l’agrégation des Langues de France, cette agrégation ne doit pas rester un simple symbole, avec un recrutement symbolique, et peut-être demain virtuel, mais doit être, par son niveau de recrutement et sa régularité, un instrument significatif de structuration des savoirs et de la recherche, de transmission scolaire de haut niveau et au-delà de valorisation et de promotion sociale de langues et de cultures précieuses, mais fragiles et menacées. C’est la richesse même de la culture nationale, dans la diversité de ses composantes historiques, qui est ici en jeu.
Nous chargeons nos collègues de corse qui vous rencontreront bientôt à Corte de vous remettre ce message, et nous vous prions de recevoir, Monsieur le Ministre, l’assurance de notre haute considération.
Motion votée à l’unanimité des membres du jury non liés par le devoir de réserve, à Paris, lycée Rodin, le 9 juin 2018