01-11-23 – Sur le discours présidentiel à Villers-Cotterêts : une lecture de Philippe MARTEL « La langue en son château, les patois dans les dépendances ? »

NDLR : ce lundi 30 octobre a été inaugurée la Cité internationale de la langue française à Villers-Cotterêts. À cette occasion, le président Macron a prononcé un discours disponible sur ce lien :  https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2023/10/30/inauguration-de-la-cite-internationale-de-la-langue-francaise-a-villers-cotterets

Philippe MARTEL, historien, ancien président de la FELCO réagit.

La langue en son château, les patois dans les dépendances ?

Le sait-on assez ? Le Valois, terre hautement betteravière, héberge aussi un château historique, à Villers-Cotterêts. Ce château revient de loin, nous disent ceux qui savent, d’un statut de ruine romantique à la Hubert Robert. Convenablement restauré (coûteusement aussi, nous disent d’autres), ce sera désormais un musée de la langue française. Pourquoi pas ? L’histoire de nos pays nous l’a donnée, même si avec elle il y en a une autre que nous revendiquons aussi pour nôtre, et d’autres encore, proches ou lointaines, que nous n’ignorons pas. Mais ce musée, en ce lieu, nous inspire quelques remarques.

Un monument national en province ? Oui, mais dans un château ! autrefois habité par… « nos rois » (sic…)

De bons esprits de félicitent de voir que pour une fois, ce n’est pas à Paris, mais en province, ou dans les « territoires » comme on dit maintenant, que l’État choisit d’implanter un monument aussi prestigieux. Mais on note toutefois que c’est d’un château, qu’il s’agit. Dans son discours, le président de la République évoque « nos rois… qui y ont vécu, chassés, parfois décidés »[1]. Les rois de qui ? seraient tentés de dire des républicains sourcilleux, mais peu importe. Par contre, certains symboles produisent du sens. Il y a des sites historiques industriels qui auraient pu tout aussi bien convenir, puisqu’on y parlait français, entre autres langues. Un français populaire, sans doute, mais du français tout de même. Ce musée installé dans un château exprime à sa façon l’idée que c’est le lien avec le pouvoir, et non avec un peuple, qui est privilégié. Mais n’est-ce pas au fond ce qu’invite à penser l’histoire même du français ?

L’ordonnance de 1539 : la justification du musée

Le discours présidentiel ne pouvait manquer de faire référence à l’Ordonnance de 1539 qui constitue somme toute la seule justification de la localisation provinciale de ce musée. Il refuse prudemment d’entrer dans le débat concernant la cible des articles 110 et 111 : le latin seul ou les autres langues parlées par ses sujets. Prudence louable : à entrer dans un tel débat il lui aurait fallu expliquer pourquoi tel texte de 1535 autorise encore, pour la Provence, l’usage du vulgaire du pays aux côtés du français (« ou à tout le moins », alors que quatre ans plus tard il ne s’agit plus que d’écrire en français « et non autrement »[2]. Il lui aurait aussi fallu s’interroger sur les 190 autres articles du texte, notamment ceux qui abordent la pratique de la torture ou interdisent les coalitions ouvrières. Rien de moins ouvert et tolérant que cette ordonnance, et imaginer que la promotion du français ait pu avoir pour but de permettre à tous la compréhension du langage de la justice relève au mieux d’une certaine naïveté.

Une définition ethnique de la nation

Faire du français la « langue qui bâtit l’unité de la nation », ou « la forge », et qui, somme toute, traduit le mieux ce qu’est son identité revient à donner de cette nation une définition ethnique, comme le noteront ceux qui sont au fait des débats concernant la définition de la Nation et savent que pour un Renan ce n’était pas la langue qui faisait la nation, mais le projet d’un vivre ensemble commun.

Ces auteurs africains qu’on veut bien accueillir

Le discours présidentiel aborde un certain nombre d’autres sujets, notamment la question, qu’on est en droit de trouver oiseuse, de l’écriture inclusive, ou celle de la francophonie comme projection planétaire de l’universalisme attribué (unilatéralement d’ailleurs) à la langue française. Affirmer « accueillir » des auteurs africains ayant choisi cette langue comme langue d’écriture, c’est bien, mais on peut aussi penser que bien des migrants venus du Sahel francophone aimeraient être sûrs d’être aussi volontiers accueillis, mais c’est un débat dans lequel nous n’entrerons pas ici.

Et la place des langues régionales dans le discours présidentiel ? richesse ou menace ?

On est obligé de constater à quel point les quelques brefs passages faisant une place à l’évocation des langues régionales sont peu clairs, voire contradictoires. On ne peut pas à la fois les célébrer comme une richesse qu’il convient de préserver, et considérer par contre que la promotion du français au XVIe siècle visait à « lutter contre toutes les forces centrifuges, tous les irrédentismes » ; ce qui, soit dit en passant, revient à prendre parti dans le débat sur l’Ordonnance qu’on entendait pourtant éviter, au profit de l’hypothèse d’une exclusion de tout ce qui n’est pas le français. Comme si les élites provinciales du temps avaient fait des langues de leur territoire l’emblème de leur résistance (d’ailleurs bien relative) au pouvoir central, alors qu’elles étaient déjà massivement passées au français. Comme si les conflits qui émaillent l’histoire de France étaient dus à la différence des langues alors même que quiconque connait un peu cette histoire voit bien que c’est tout autre chose qui les motive, qu’il s’agisse de questions religieuses, sociales ou politiques. Quant à l’idée, également formulée par le président, qu’une bonne maîtrise du français suffirait à prévenir tous les malentendus, et donc tous les conflits, elle est pour le moins surprenante. Le général de Gaulle et le Maréchal Pétain, maîtrisaient tous les deux le français, même si le second s’est contenté un certain temps de signer de son nom des ouvrages que le premier avait seul écrits. Le fait que malgré cette maîtrise partagée, certains « malentendus » aient pu les séparer en 1940 notamment aurait dû donner à réfléchir au rédacteur du discours présidentiel.

De quelques approximations présidentielles

Arrivé à ce point, à quoi bon relever quelques autres points problématiques ? Le fait que la mention des accents régionaux donne lieu à un festival de clichés parfois séculaires, notamment sur les e muets des Méridionaux « sonores et solaires ». Ou une liste de langues régionales où figurent en vrac « le béarnais, le gascon, le provençal, tous les occitans (sic) » : on n’ose y voir l’influence d’un lobbying particulariste niant l’existence d’une langue d’oc une dans la variété de des déclinaisons locales. A quoi bon, surtout, souligner que nonobstant cette déclaration d’amour pour les langues de France, toute la pratique du Ministère de l’Education nationale depuis 2017 au moins prouve qu’elle ne connait aucune application concrète ?

Que disent les médias ?

Au demeurant, on se gardera de reprocher au président des approximations partagées par la plupart des médias qui ont salué l’inauguration du musée. Le Monde voit dans l’Ordonnance de 1539 le début de l’extinction des « patois locaux » là où Libération parle de « primauté sur le latin et le patois », au singulier, toutes les langues de France fondues dans le même magma. Il est dès lors normal de voir le mot « patois » figurer sur l’étrange plafond illustré qui constitue une des attractions du musée. Et tout aussi normal le fait que telle académicienne, sur une radio nationale, place ces mêmes langues « à l’intérieur du français », ou que tel académicien, sur une autre radio tout aussi nationale, attribue au seul français un rayonnement littéraire médiéval qui pour une bonne part est dû aux troubadours occitans. Ignore-t-il que c’est à ces derniers que se réfèrent Dante et Pétrarque, et que si on consomme en Italie à leur époque de la chanson de geste d’origine française, elle a somme toute alors un peu le même statut que les westerns de série B dans la culture française actuelle.

Le règne de l’ignorance

Ignorance : c’est cette ignorance qui doit inspirer l’indulgence face à tant d’approximations, une ignorance savamment entretenue par l’ensemble du dispositif éducatif et culturel français depuis des siècles. Une pétition signée de plus de 10 000 noms, certains prestigieux, avait été adressée au ministère de l’Education nationale pour demander l’inclusion dans les programmes et les manuels de français de textes issus des littératures en langues régionales. Elle a été accueillie, en haut, par un grand silence glacial. Il est permis d’en tirer la conclusion que l’ignorance dont nous parlons a encore de beaux jours devant elle. Il est permis, aussi, de considérer que quelque tendresse que l’on puisse éprouver pour le français langue commune, mais non unique de la République, on peut se dispenser d’un long et pénible voyage pour visiter un musée où l’on ne trouvera manifestement que motifs à déceptions et rancœurs.

[1]Laissons au site officiel de l’Élysée la responsabilité de cette réforme hardie de l’accord des participes.

[2] « vulgaire dudit pays », dans le texte original, signifie « langue du pays ». On note que le roi aurait pu nommer la langue en question (le désignant « provençal » est connu), mais ne pas la nommer est la première étape de son invisibilisation, avant l’effacement définitif, en 1539, de tout ce qui n’est pas le français, comme dans l’article 2 de la Constitution…

 

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