01-04-20- Analyse de la FELCO d’une réponse du Minstère à une question écrite du député Paul Molac.

À propos de la réponse, en date du 24 mars, du Ministère de l’Éducation Nationale à une question écrite du député Paul MOLAC concernant les langues régionales, les commentaires de la FELCO au fil du texte (En rouge et en italique).

(Références de la QE : http://questions.assemblee-nationale.fr/q15/15-25427QE.htm).

 

Le ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse est attaché à la préservation et à la transmission des diverses formes du patrimoine linguistique et culturel des régions françaises : la circulaire n° 2017-072 du 12 avril 2017 a ainsi rappelé, d’une part, cet attachement, et d’autre part, le cadre du développement progressif de l’enseignement des langues et cultures régionales.

 

L’attachement du ministère au patrimoine linguistique des régions françaises est une simple déclaration mille fois répétée que les faits démentent aisément. A l’opposé d’un « développement progressif de l’enseignement des langues régionales », c’est bel et bien face à un effondrement catastrophique que nous nous trouvons (-50% d’effectif en terminale entre 2019 et 2020 dans l’académie de Toulouse par exemple). Ce refus de voir la réalité que tous les acteurs de terrain rappellent à Monsieur le Ministre ne pourrait-il être interprété au contraire comme une volonté ministérielle de liquider l’enseignement des langues régionales ?

 

Lors de la concertation pour la réforme du baccalauréat, des responsables des associations des langues régionales, ainsi que des représentants de la Fédération pour les langues régionales dans l’enseignement public, ont été reçus plusieurs fois.

 

Il est vrai que lors de cette concertation, les associations ont bien été reçues, mais elles n’ont de toute évidence pas été entendues. Pire, leurs craintes clairement évoquées, d’une forte diminution de l’enseignement des langues régionales, se réalisent (voir plus haut).  Pourquoi le ministère persiste-t-il à ne pas vouloir le reconnaître ?

 

Dans le cadre de la réforme du baccalauréat et du lycée, qui entre en vigueur pour les élèves de première à partir de la rentrée 2019 et pour les élèves de terminale à partir de la rentrée 2020, l’enseignement de spécialité  » langues, littératures et cultures étrangères et régionales » (LLCER), proposé dans la voie générale, conforme à la dynamique de renforcement de la place des langues régionales, présente la possibilité de choisir une langue vivante régionale à l’instar des langues vivantes étrangères.

Le choix d’une langue vivante régionale est effectué par l’élève parmi les langues suivantes: basque, breton, catalan, corse, créole, occitan langue d’oc, tahitien, conformément aux dispositions de l’arrêté du 22 juillet 2019 relatif à la nature et à la durée des épreuves terminales du baccalauréat général et technologique à compter de la session 2021. Cela est possible dès lors que l’élève suit par ailleurs un enseignement dans cette langue régionale en langue vivante B ou C. La spécialité bénéficie à ce titre d’un enseignement à hauteur de 4 heures hebdomadaire en classe de première, puis de 6 heures en classe de terminale, en plus des heures de l’enseignement commun en langues vivantes. Elle est évaluée dans le baccalauréat pour un coefficient 16 sur un coefficient total de 100. Ceci correspond à un réel progrès par rapport à la situation précédente où la langue vivante régionale approfondie ne pouvait être choisie que par une minorité d’élèves, ceux de la série L.

 

Cette « dynamique de renforcement de la place des langues régionales », ce « réel progrès » est purement théorique puisque dans la réalité la spécialité LLCER pour l’occitan est présente dans 3 établissements pour 33 départements. C’est à dire 1 pour 2,5 académies. C’est assurément beaucoup moins que le nombre de terminales littéraires auparavant. Comment dès lors parler d’un « réel progrès » ?

 

En outre, les programmes spécifiques à l’enseignement de spécialité « langues, littératures et cultures étrangères et régionales » ont été publiés dans l’arrêté du 28 juin 2019 (BOEN du 11 juillet 2019) modifiant l’arrêté du 17 janvier 2019 (BOEN spécial n° 1 du 22 janvier 2019) pour la classe de première, et dans l’arrêté du 19 juillet 2019 pour la classe de terminale (BOEN spécial n° 8 du 25 juillet 2019), avec un programme spécifique proposé pour chacune des langues régionales précitée. A la rentrée 2019, pour la classe de 1ère, on compte 24 élèves pour LLCER breton, 20 pour LLCER occitan.

 

20 élèves en LLCER occitan pour 8 académies et 33 départements ! Cela doit-il prouver une amélioration de la situation ? Un développement progressif ou un attachement au patrimoine linguistique ? Les langues mortes sont mieux traitées, et les effectifs de la spécialité « arts du cirque » sont supérieurs à ceux de l’ensemble des langues régionales. Le ministère tient-il vraiment à se ridiculiser en affichant de tels effectifs ?

 

Par ailleurs, pour le baccalauréat général, il est toujours possible pour le candidat de choisir une langue vivante régionale (LVR), en tant qu’enseignement commun au titre de la langue vivante B, et également en tant qu’enseignement optionnel, au titre de la langue vivante C. En ce qui concerne la voie technologique, dans toutes les séries, le choix d’une langue vivante régionale demeure possible au titre de la langue vivante B dans les enseignements communs. Pour l’enseignement optionnel de la voie technologique, le choix d’une langue vivante régionale est toujours proposé dans la série « sciences et technologies de l’hôtellerie et de la restauration » (STHR), en raison de l’intérêt que comporte un tel enseignement pour des élèves se destinant à des carrières où l’accueil du public est primordial. Le rétablissement d’un enseignement optionnel dans toute la voie technologique n’est pas pour l’instant envisagé pour la LVR.

En effet, du fait d’horaires déjà élevés en raison d’une pédagogie spécifique, très peu d’élèves choisissent aujourd’hui de suivre un enseignement facultatif. A la rentrée 2019, pour la classe de 1ère, on compte 65 élèves pour LVC breton (102 pour la LVB), 272 pour LVC occitan (45 pour la LVB). Au même moment, pour la classe de seconde GT, on compte en LVB 36 élèves pour l’occitan, 110 élèves pour le breton, et en LVC 396 élèves pour l’occitan, 93 élèves pour le breton.

 

Ces chiffres montrent bien la pauvreté de l’offre d’enseignement et la chute des effectifs liée directement à l’application de la présente réforme. Une comparaison entre les effectifs actuels en terminale (« ancien bac » donc) et les effectifs en première serait particulièrement éloquente. Pourquoi le ministère s’en dispense-t-il ?

 

En conséquence, la réforme du baccalauréat conforte le poids des langues régionales dans l’examen. Ainsi, la langue vivante régionale (LVR) choisie au titre de la langue vivante B constitue l’un des six enseignements communs ayant exactement le même poids dans l’examen, c’est-à-dire que tous ces enseignements comptent dans leur ensemble à hauteur de 30 % de la note finale, et en y incluant les notes de bulletin, la note de langue régionale compte pour environ 6 % de la note finale.

 

La LVB est une possibilité qui n’est pas choisie majoritairement par les élèves, car ils ont peur qu’en présentant la seconde langue étrangère comme LVC (bien que le niveau soit le même que la LVB) ils soient pénalisés par le logiciel Parcoursup. Le Ministère ignore-t-il le stress que sa réforme ajoute à cette peur déjà identifiée par les analyses des inquiétudes induites par Parcours sup ?

 

S’agissant de la LVR choisie au titre d’enseignement optionnel comme langue vivante C, tous les enseignements optionnels ont exactement le même poids et les notes de bulletins de tous les enseignements comptent dans leur ensemble à hauteur de 10 % de la note finale de l’examen. La situation précédant la réforme dans laquelle seules les notes au-dessus de la moyenne étaient prises en compte dans l’examen disparaît. Désormais, il faut suivre les enseignements optionnels en cours de scolarité tout au long du cycle terminal et la note annuelle obtenue au titre des enseignements optionnels compte pour l’examen, quelle que soit sa valeur.

 

Cette possibilité en LVC est, malgré cette pseudo-démonstration, bien moins favorable. 10 % de la note finale partagé entre tous les enseignements, cela représente moins de 1 % pour la langue régionale. Pouvons-nous dire qu’un élève qui consacre 3h par semaine à apprendre une langue pendant 2 ans est bien récompensé avec moins de 1 % de la note finale du Bac ? Pour rappel un élève en LVB présente le même niveau au Bac avec 2h par semaine et 6 % de la note finale… Auparavant beaucoup d’élèves qui avaient déjà un certain niveau s’inscrivaient seulement en terminale à raison de 2h par semaine et valorisaient davantage leur option, d’autant plus qu’elle était bonifiante (seuls comptaient les points au-dessus de 10), caractéristique rayée d’un trait de plume par la réforme sans qu’on sache trop pourquoi. De plus, l’impossibilité de s’inscrire en candidat libre et la diminution du nombre d’établissements proposant un enseignement d’occitan réduisent encore le nombre de candidats. Au passage, le Ministère a-t-il oublié que tous les enseignements optionnels n’ont pas « exactement le même poids », puisque l’option Langues et cultures de l’Antiquité bénéficie d’un coefficient supérieur à celui concédé aux langues régionales ?

 

La valorisation des LVR peut enfin s’opérer grâce à l’accent mis par la réforme sur l’enseignement des disciplines non linguistiques en langue vivante, notamment régionale. L’arrêté du 20 décembre 2018 relatif aux conditions d’attribution de l’indication section européenne ou section de langue orientale (SELO) et de l’indication discipline non linguistique ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante (DNL) sur les diplômes du baccalauréat général et du baccalauréat technologique, publié au JORF du 22 décembre 2018, prévoit ainsi que, hors des sections européennes ou de langue orientale, les disciplines autres que linguistiques (DNL) peuvent être dispensées en partie en langue vivante donc en langue régionale, conformément aux horaires et aux programmes en vigueur dans les classes considérées. Par exemple, sur 3 heures d’histoire-géographie, 1 heure peut être dispensée en langue vivante régionale. Dans ce cas, et cela est nouveau, le diplôme du baccalauréat général et du baccalauréat technologique comporte l’indication de la discipline non linguistique (DNL) ayant fait l’objet d’un enseignement en langue vivante étrangère ou régionale, suivie de la désignation de la langue concernée, si par ailleurs le candidat a obtenu une note égale ou supérieure à 10 sur 20 à une évaluation spécifique de contrôle continu visant à apprécier le niveau de maîtrise de la langue qu’il a acquis.

 

On ne voit pas pourquoi la langue régionale ne devrait être utilisée en DNL qu’une heure sur trois. Le ministère mesure mal la façon dont fonctionne en pratique une filière bilingue, même aussi réduite que dans le cas de ce qui se passe en collège et lycée. Il pourrait bien convenir que ce qu’il appelle une « valorisation » n’est rien d’autre qu’une mention écrite dont on voit mal à quoi elle peut bien servir. Les élèves bilingues, suivant un enseignement en langue régionale depuis la maternelle se verraient donc « récompensés » par une simple mention « DNL » accolé à la matière qu’ils ont suivie ? Il serait normal que cela soit valorisé par des points comptant dans la note finale. 14 ans d’études et un niveau bilingue sont-ils si peu de chose aux yeux du Ministère ?

 

Enfin, la ressource enseignante en langues vivantes régionales est pérennisée. L’enseignement des langues régionales dans le second degré dispose de professeurs titulaires du CAPES langues régionales (basque, breton, catalan, créole, occitan-langue d’oc) et du CAPES section tahitien, ainsi que du CAPES section corse. Une agrégation de langues de France a été créée en 2017, cette disposition permettant de recruter des IA-IPR de langues de France. Le suivi de la mise en œuvre de la politique des langues vivantes régionales au niveau académique est assuré par des chargés de mission, au statut divers, dont des enseignants. Toutes ces nouvelles dispositions œuvrent en faveur de la valorisation de l’apprentissage des langues vivantes régionales pour les élèves du lycée général et technologique.

 

Depuis des années le nombre annuel des recrutements au CAPES est nettement insuffisant, couvrant à peine les départs en retraite et ne permettant pas un développement de l’offre d’enseignement de l’occitan. C’est une demande constante de notre association. L’ouverture de l’agrégation, si elle marque un progrès, plus que modeste au demeurant compte tenu du nombre de postes, ne permet nullement de recruter de nouveaux enseignants puisqu’elle bénéficie presque exclusivement à des enseignants déjà titulaires. 4 postes au CAPES d’occitan, pour 8 académies ? Est-ce cela une « ressource enseignante pérennisée » ?

 

Pour conclure, nous ne pouvons que regretter que cette réponse, qui se borne à reprendre celles fournies à de nombreux élus, n’ait qu’un rapport lointain avec la réalité. Depuis des mois nous nous efforçons de montrer cette réalité et de justifier nos demandes légitimes, inspirées par notre dévouement au service public. Or, pour toute réponse, le ministère rabâche les mêmes arguments sans tenir compte des remarques qui lui sont faites. Il refuse même de voir que ses propres chiffres montrent la situation grave dans laquelle sa réforme place l’enseignement des langues régionales. Comment peut-il croire que ce déni n’apparaît pas avec évidence aux yeux des associations de promotion de ces langues et des élus qui relaient régulièrement leurs demandes par des questions écrites et orales ?

 

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