2009 (août) : la FELCO écrit aux députés suite à des questions écrites sur la reconnaissance du Provençal

2009 : les questions écrites des députés pour la reconnaissance du provençal : 2009-questions écrites reconnaissance du provençal. Ci-dessous la réaction de la FELCO demandant d’arrêter les positions de division et d’œuvrer de façon unitaire pour une loi favorable aux langues régionales.


 

Philippe Martel                                                                      le 25 août 2009

Professeur Université Paul Valéry

Président de la FELCO

 

à Madame et Messieurs les députés Valérie Boyer, Jean-Claude Bouchet, Eric Diard, Yvan Lachaud, Thierry Mariani, Jacques Remiller,  Jean-Marc Roubaud,  Pascal Terrasse,  Guy Teissier, Michel Vauzelle

 

Madame, Monsieur le Député

J’ai découvert sur le site de l’Assemblée Nationale votre question écrite au gouvernement concernant les langues régionales.  (2009-Questions écrites députés reconnaissance du provençal) Vous y plaidez pour la reconnaissance du provençal.

Je me permets de vous faire ces quelques remarques en tant qu’universitaire, chercheur et enseignant, spécialiste de la langue d’oc, ou occitan, président de la FELCO (Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’Oc[1]).

À plusieurs de vos collègues députés qui posaient une question allant dans le même sens, le Ministère a répondu d’une manière informée et parfaitement respectueuse des diversités internes de la langue d’oc.

 « La ministre de la culture et de la communication rappelle que les langues régionales sont désormais inscrites dans la Constitution, à l’article 75, dans le titre XII, comme patrimoine de notre pays et confirme que le Gouvernement souhaite maintenir la dénomination d’occitan ou langue d’Oc dans les textes nationaux, tout en affirmant et protégeant l’unité de cette langue, riche de sa grande diversité dialectale. Considérant que chaque variété est l’expression pleine et entière de la langue qui n’existe de façon unitaire que par ses composantes, le Gouvernement, dans le domaine linguistique gallo-roman n’entend aucunement remettre en cause la nomenclature traditionnelle en usage dans l’administration depuis la loi Deixonne de 1951 qui reconnaît l’occitan comme une langue aux différentes variétés dialectales dont le provençal. Aussi, afin de concrétiser la reconnaissance des langues régionales, le Gouvernement envisage-t-il un cadre de référence donnant une forme institutionnelle au patrimoine linguistique de la nation et n’impliquant aucune modification de la Constitution concernant la ratification de la charte européenne des langues régionales… »

Cette réponse, parce qu’elle constate que le provençal est déjà reconnu, « ni court ni coustié », en tant que forme de l’occitan ou langue d’oc, ne peut que satisfaire la FELCO, association d’enseignants qui s’attache à fédérer les collègues enseignant la langue d’oc dans sa diversité sur l’ensemble des Académies concernées. Une petite visite de notre site http://www.felco-creo.org/ vous permettra de juger de la diversité des documents pédagogiques produits dans cette perspective d’enseignement ouvert. Quels effets aurait un repli localiste de chaque forme dialectale sur son terrain étroit ?

Votre passion pour le provençal devrait cependant être satisfaite par l’état actuel des textes qui reconnaissent provençal comme forme de la langue d’oc, de l’occitan (ou comme un autre nom de la langue d’oc ou occitan). Procéder ainsi, ce n’est pas moins le reconnaître que d’en faire une langue à part. Depuis le moyen âge, au-delà des formes locales plus ou moins marquées, il existe le sentiment d’une communauté de la langue d’oc. Et ce sentiment de communauté a porté une des premières littératures d’Europe, la floraison des Troubadours et du « trobar ». En sautant les siècles, c’est la même unité ressentie à travers les variétés qui fera que l’exemple de Jasmin d’Agen aura pu contribuer à inspirer Mistral, de Maillane, Bouches-du-Rhône, qui a son tour suscitera un réveil de conscience linguistique et culturelle à travers tout le pays d’oc, « dis Aups i Pirenèu » selon la formule consacrée par lui…

C’est parce que le provençal fait partie de la langue d’oc que les étudiants de Montpellier, comme ceux de Toulouse, de Pau, de Bordeaux, de Limoges, de Clermont-Ferrand et bien sûr d’Aix et de Nice, lisent et étudient Mistral, le cévenol Fabre d’Olivet, comme le Marseillais Victor Gelu, ou Delavouet, le poète de Grans, le niçois Francis Gag ou Robert Lafont qui vient de nous quitter, grand occitaniste s’il en fut et dont toute l’œuvre littéraire est écrite en provençal. C’est dans l’unité de la langue d’oc que le provençal prend toute sa place.

Ce qui manque à la langue d’oc de Provence, au provençal… c’est que sa reconnaissance se double de mesures effectives de soutien. Ce sont en particulier des postes d’enseignants pour transmettre la langue et la faire connaître. Je suis membre du jury de CAPES « d’occitan – langue d’oc » (au programme duquel figurent en bonne place des œuvres provençales (dont, depuis deux ans Mirèio de Mistral auquel votre Q.E. fait allusion) et dans le jury duquel siègent des enseignants provençaux). Depuis plusieurs années nous devons partager quatre postes (quatre : 2 +2) pour l’ensemble des pays d’oc, soit sept Académies. Merci d’intervenir pour que le nombre des postes à ce concours soit augmenté, de manière à ce que la Provence puisse recevoir de nouveaux enseignants de provençal (l’incidence est dérisoire sur la masse des recrutements et nos certifiés sont tous bivalents occitan + autre discipline). Si vous y parveniez vous rendriez au provençal et à toute la langue d’oc un signalé service !

Sur ce sujet du CAPES, je voudrais attirer particulièrement votre attention sur un point précis concernant la Provence : c’est la création, en 1992, de ce CAPES d’occitan-langue d’oc (appellation voulue par esprit de consensus) et son obtention qui permet aujourd’hui à plusieurs jeunes enseignants des académies provençales d’occuper des emplois de professeurs de « provençal ». Personne jusqu’à présent ne leur a contesté le choix de cette appellation, puisqu’ils l’avaient choisie pour son adaptation à leur lieu d’enseignement. Personne ne les a empêchés d’utiliser la graphie qui leur paraissait la mieux adaptée.

Plus globalement, permettez-moi de vous faire remarquer que les petites querelles sur le nom de la langue, entretenues par une minorité aussi activiste que… minoritaire, risquent d’être contre productives au moment où le gouvernement s’apprête à travailler sur une loi promise en 2008. Les adversaires des langues régionales risquent fort d’en tirer prétexte pour s’opposer, une fois de plus, à toute avancée dans ce domaine.

La FELCO a toujours le souci d’avancer dans un sens constructif et le plus consensuel possible.

C’est la raison pour laquelle nous travaillons, dans le cadre de la fédération « Anem, òc ! » avec l’Institut d’Etudes Occitanes ou le Félibrige.

C’est aussi la raison pour laquelle nous avons voulu enrichir le débat sur l’adoption d’une loi en faveur des langues régionales par l’élaboration d’un texte intitulé « Quelques mesurés-clé pour une loi – L’avis de la Fédération des Enseignants de Langue et Culture d’oc » que vous trouverez en annexe et sur le quel nous souhaiterions avoir votre avis d’expert.

Je vous prie d’agréer, Madame, Monsieur le Député, l’assurance de toute ma considération.

 

 

P / O Philippe Martel, président de la FELCO, Marie Jeanne-Verny, co-secrétaire

 

 

UNE LOI POUR FAIRE VIVRE NOS LANGUES

L’enseignement, un secteur crucial pour « sécuriser la situation des langues régionales »

 I – des enjeux de notre temps

II- quelques axes de développement

III- Synthèse

Si le système éducatif français n’est pas le seul outil de sauvegarde de nos langues, son rôle pour la transmission des langues et des cultures historiques de France est essentiel.

Le ministère de l’Education nationale et celui de l’Enseignement supérieur, principaux acteurs du système éducatif, doivent renouer avec des mesures qui relèvent de leur compétence (patrimoine national) et qui au cours des trente dernières années ont amélioré le statut et l’enseignement des langues et cultures régionales.

Il est nécessaire de revenir sur ce qui dévalorise aujourd’hui cet enseignement dans les textes réglementaires et dans les pratiques. Il s’agit de donner aux langues régionales un rôle et une place à la hauteur des enjeux, de leur reconnaissance comme “patrimoine national” et des engagements internationaux de la France.

 

I – DES ENJEUX DE NOTRE TEMPS

 

La transmission des langues régionales répond aux enjeux de notre temps en contribuant à développer :

 

  • les aptitudes linguistiques et intellectuelles des enfants par l’enseignement bilingue précoce français – langue régionale en même temps que leur capacité à apprendre les langues étrangères, l’un des objectifs assignés à l’enseignement aujourd’hui ;
  • la maîtrise du langage en général et du français en particulier dont on sait à présent qu’il est conforté par l’enseignement des langues régionales, notamment l’enseignement bilingue comme l’ont montré les bilans et évaluations établis ces dernières années dans les académies concernées, par les chercheurs et les services de l’Éducation nationale ;
  • une meilleure connaissance et compréhension de la France dans toutes ses composantes ; une meilleure compréhension de notre histoire nationale ; une dynamisation de nos régions dans l’intérêt du pays tout entier ;
  • la capacité à assumer des identités à plusieurs niveaux, plurielles et complémentaires, capacité particulièrement utile à l’heure de l’Europe ; l’esprit de tolérance, de respect et de valorisation de la pluralité;
  • l’esprit de responsabilité par rapport à nos langues, toutes nos langues, notre langue nationale comprise.

 

II – QUELQUES AXES DE DEVELOPPEMENT

 

II.1 – DÉVELOPPER SIGNIFICATIVEMENT L’ENSEIGNEMENT BILINGUE :

 

Il est un moyen privilégié de transmission des langues et de leur culture, tout en contribuant à la maîtrise de la langue française et en favorisant l’apprentissage des langues étrangères sans être en concurrence avec celles-ci à l’école primaire, puis au collège et au lycée.

 

  • La possibilité de choix de la voie bilingue sous toutes ses modalités pédagogiques doit être légalement reconnue.
  • L’information des familles sur l’enseignement bilingue français – langue régionale, son intérêt, ses enjeux, doit être organisée par les pouvoirs publics.
  • La mise en place effective de l’enseignement bilingue doit être assurée aux familles qui l’ont choisi. (pour mettre fin aux blocages administratifs, il faut définir un « droit opposable » des familles); un schéma directeur de développement de l’offre d’enseignement bilingue, intégrant la volonté des familles, faisant l’objet d’évaluations et de bilans intermédiaires, doit être mis en place par les pouvoirs publics.
  • Des mesures doivent être prises pour augmenter le nombre d’enseignants et de personnels d’encadrement qualifiés.
  • Les compétences en langue régionale des élèves ayant suivi un cursus bilingue doivent être validées dans les examens.
  • Un plan de développement de l’enseignement bilingue à l’école maternelle et élémentaire sera mis en place dans chaque académie pour créer à terme, dans un nombre croissant de collèges puis de lycées, les sections où des matières sont enseignées en langue régionale, sans concurrence avec les langues étrangères étudiées. Il s’agit notamment de disposer de futurs candidats aux formations et certifications permettant d’accéder aux différents emplois créés par la valorisation des langues régionales.

 

II.2 – INTEGRER LES APPORTS DES LANGUES ET CULTURES REGIONALES DANS LES PROGRAMMES NATIONAUX

 

La connaissance d’un patrimoine national relève du Socle commun de connaissances et de compétences autour duquel s’organise désormais le système éducatif français. La loi d’orientation de 2005, antérieure à la reconnaissance des langues régionales au titre de « patrimoine de la France » doit être complétée.

 

  • Il convient de prévoir l’intégration de connaissances et de compétences relatives aux langues et aux cultures historiques de France dans les programmes des domaines disciplinaires concernés (langue française et littérature, histoire et géographie, éducation artistique…) pour chaque cycle de la scolarité obligatoire puis pour l’ensemble du cursus éducatif .
  • La mission sera donnée au Conseil National des Programmes, en lien avec les groupes d’experts disciplinaires, de faire des propositions intégrables dans les programmes nationaux lors des prochaines adaptations ou mises à jour. Ces connaissances et compétences seront, d’une part la culture partagée par tous relative à l’ensemble des langues de France et d’autre part la culture partagée par tous dans chacune des aires linguistiques relative à sa langue et culture propres.
  • Un module obligatoire de « langue et culture régionales » sera intégré à la formation des enseignants.

 

II.3 -DÉVELOPPER LES ENSEIGNEMENTS OPTIONNELS OU OBLIGATOIRES ACTUELS AU COLLÈGE ET AU LYCÉE  PAR L’OFFRE ET LA VALORISATION :

 

  • Offrir à un plus grand nombre d’élèves la possibilité de connaître « un élément du patrimoine national » par la généralisation progressive de l’offre de sensibilisation – initiation, améliorer les possibilités d’approfondissement linguistique (enseignements de type LV1 ou LV2) en vue d’une spécialisation ou de perspectives professionnelles.
  • Développer les enseignements optionnels facultatifs (permettant aux élèves non spécialistes d’acquérir des connaissances) et maintenir une épreuve facultative bonifiante au baccalauréat.
  • Revaloriser les coefficients au baccalauréat (au moins identiques à ceux des langues anciennes).
  • Valider les compétences en langue régionale pour l’obtention du Diplôme National du Brevet.
  • Confirmer la possibilité de choix de la langue régionale au titre d’un enseignement de langue vivante au collège et au lycée.
  • Accroître le recrutement d’enseignants qualifiés (par une augmentation conséquente des postes au CAPES).

 

II.4 – RECONNAÎTRE LA PLACE DES LANGUES REGIONALES A L’UNIVERSITÉ

 

  • Les possibilités d’étude et de validation des langues régionales ne pourront pas être moindres que celles accordées aux langues étrangères.
  • Les étudiants se destinant aux métiers de l’enseignement pourront faire valoir une langue régionale pour la certification en langue vivante délivrée par l’université et exigée pour l’admission aux concours.

 

II.5 – ASSURER UN TRAITEMENT ÉQUITABLE SUR L’ENSEMBLE DU TERRITOIRE

 

  • Tout en prenant en compte les spécificités de chaque aire linguistique, les plans de développement des différentes formes d’enseignement seront mis en œuvre dans toutes les académies concernées. Ils traduiront une politique nationale volontariste entendant résorber les inégalités de traitement et les disparités existantes.

 

 

II.6 – DANS LES CONCOURS D’ACCÈS À LA FONCTION PUBLIQUE, INCLURE UNE ÉPREUVE DE LANGUE RÉGIONALE, FACULTATIVE ET BONIFIANTE

 

  • Cette mesure est destinée à encourager l’étude des langues régionales auprès de la population. Elle donnera du sens à l’enseignement scolaire et universitaire. Elle permettra de disposer de personnels ayant des compétences en langues pour la mise en oeuvre de politiques publiques.

 

III – Synthèse

Pour répondre aux impératifs de sauvegarde, de valorisation et de partage d’un élément du patrimoine national, les pouvoirs publics, dont l’Etat, ont l’obligation de proposer et d’organiser des dispositifs efficaces visant la connaissance et l’usage des langues.

Une loi doit permettre de définir quelle sera l’action des pouvoirs publics dans les différents domaines concernés.

  • Le Ministère de l’Education nationale est chargé d’ établir un plan de rénovation et de suivi pluriannuel de l’enseignement des langues régionales.
  • Les possibilités, la valorisation et le statut de l’enseignement des langues régionales ne pourront être inférieurs à ceux accordés aux langues étrangères ou anciennes.
  • Le socle commun de connaissances et de compétences prendra explicitement en compte les langues régionales.
  • L’information généralisée des familles, notamment sur l’enseignement bilingue français- langue régionale, sera organisée.
  • La mise en place de l’enseignement bilingue sera garantie aux familles qui le choisissent (fin des blocages de l’administration, « droit opposable ») ; un schéma directeur de développement de l’offre d’enseignement bilingue sera établi.
  • Des mesures permettront d’assurer la formation et d’accroître le recrutement de personnels qualifiés en langues régionales.
  • Le nombre d’établissements offrant une possibilité d’étude d’une langue régionale devra faire l’objet dans la loi d’une disposition prévoyant des objectifs chiffrés de croissance régulière et significative.

Les mesures prises pour l’enseignement doivent aller de pair avec celles concernant les autres secteurs. Placer les élèves dans un contexte vivant de langue et culture régionales est nécessaire pour donner tout son sens à l’enseignement et le conforter. Le domaine de l’audiovisuel est particulièrement important à cet effet. L’impulsion donnée par les collectivités territoriales pour l’usage et la présence sociale des langues régionales est également un facteur déterminant.

D’une manière générale :

  • Un dispositif de concertation doit être créé entre l’Etat et les collectivités territoriales sur la politique de valorisation des langues régionales
  • Un volet «  transmission des langues régionales » doit être obligatoirement inscrit dans les contrats de projets entre l’Etat et les Collectivités territoriales concernées.

 

[1] cf. http://www.felco-creo.org/

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