C’est dans l’Express de cette semaine, et en lien direct avec la discussion en cours de la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion (L’Express – — n°3639 – P. 12, sous le titre « Faut-il voter la loi Molac sur les langues régionales ?»).
L’hebdomadaire, et il faut l’en féliciter, donne la parole aussi bien au porteur de cette proposition de loi, le député breton Paul Molac, qu’à un contradicteur, en l’occurrence Bastien Lachaud, élu de la France Insoumise qui était intervenu dans le débat sur ce texte à l’occasion de son passage à l’assemblée en première lecture[1]. Ses propos dans l’Express doivent donc être considérés comme un échauffement avant sa probable prochaine intervention le 8 avril lors du débat en seconde lecture.
Que nous dit donc M. Lachaud ? Il maîtrise fort bien les règles élémentaires de la rhétorique basique, notamment l’incontournable, « je ne suis pas contre/ je suis pour, MAIS… ».
M. Lachaud n’a donc rien contre les langues régionales, foi d’animal, et nous ne demandons qu’à le croire. MAIS nous avons le droit de rêver du jour où les gens qui nous servent ce genre de potage auront le courage de leurs opinions, et nous diront franchement que pour eux, il n’y a là rien que jargons de rustauds patoisants qui feraient mieux de parler comme tout le monde, c’est à dire comme eux, car ils parlent si bien.
Mais revenons au MAIS du bon monsieur Lachaud. Il est pour le plurilinguisme, à condition que l’on préserve la « liberté de choix ». Ceux qui connaissent l’histoire de l’enseignement en France savent bien quelle « liberté de choix » a été laissée aux enfants au temps où le plurilinguisme régnait dans les classes populaires : c’était le français ou le français, la possibilité d’une prise en compte dans l’apprentissage de la langue commune des pratiques linguistiques réelles des enfants n’ayant même pas été envisagée. C’est l’imposition par les élites de la variante normée de la langue nationale qui était privilégiée, comme instrument à la fois de dressage idéologique et d’instrument de sélection sociale, les langues régionales étant au mieux ignorées, au pire rejetées voir réprimées. Il paraît que M. Lachaud a été professeur d’histoire dans une vie antérieure, son métier est donc de savoir ces choses et il les sait sans doute, MAIS apparemment il ne juge pas bon de les rappeler.
Mais bon, « liberté de choix », fort bien. Oui, et alors ? M. Lachaud semble s’imaginer que la proposition de loi Molac vise à rendre obligatoire l’enseignement d’une langue régionale. Il devrait commencer par lire le texte, qui ne dit bien entendu rien de semblable. Il vise simplement à rendre plus aisé l’accès à des enseignements que la politique des ministères successifs depuis 20 ans, couronnée par les récentes « réformes » de M. Blanquer, n’a cessé de fragiliser.
Monsieur Lachaud a bon cœur. Il prend donc la défense de toutes les langues possibles et imaginables, pourvu qu’elles ne soient pas régionales. Il regrette la place réduite laissée aux langues de l’Antiquité. Ceux qui connaissent les dispositions de la « réforme » de M. Blanquer savent que ce dernier partage la sollicitude de M Lachaud pour ces langues. Il dénonce le fait qu’il soit de plus en plus difficile d’échapper au tout anglais, (éventuellement complété par l’espagnol car il faut bien une deuxième langue), et de choisir l’allemand ou l’italien. Il ignore manifestement que certaines associations d’enseignants de langues régionales partagent cette analyse, et en tirent, elles, les conséquences pratiques par leur adhésion à l’association des professeurs de langues vivantes, (APLV), aux côtés de laquelle, en solidarité réciproque, elles défendent précisément l’élargissement de l’éventail des options ouvertes au choix des élèves, au rebours de la politique mesquine de chasse aux options pratiquée depuis bien longtemps par les calculettes à figure de hauts fonctionnaires ministériels. Il ignore aussi que plusieurs de ces langues constituent justement des ponts vers l’apprentissage d’autres langues, et que c’est en tout état de cause un des bénéfices du bilinguisme précoce que de préparer à l’acquisition d’autres langues
Monsieur Lachaud a peut-être aussi une certaine tendance à tout mélanger. Il se prononce avec vigueur contre le financement de l’enseignement privé. C’est son droit, MAIS c’est un autre débat, marginal par rapport à celui qui nous occupe. Si M. Lachaud avait la curiosité de lire le texte tel qu’il va être soumis au vote le 8 avril, il verrait que l’article 2ter vise justement à élargir à l’enseignement public la possibilité d’un enseignement immersif des langues régionales. Considère-t-il que cette pédagogie qui a fait ses preuves ne doit être l’apanage que de l’enseignement privé ?
Et puisqu’on en est à tout mélanger, est-il vraiment nécessaire ensuite de commenter le couplet patriotique qui clôt l’article de M Lachaud ? Sa banale condamnation du globish ? Sa défense du français et de la francophonie, que nul ne remet en cause, puisque Paul Molac, sur la même page de l’Express, parle du sort du français au Québec ? Cela même, soit dit en passant, si le tout récent rapport Duclert montre que la défense affichée de la francophonie en Afrique a pu servir de justification à des politiques bien funestes. Mais reconnaissons à M. Lachaud au moins une circonstance atténuante. Il nous épargne cette fois la référence à l’ordonnance de ViIlers-Cotterêts que ce grand républicain célébrait lors du débat en première lecture, à cause de l’article imposant le français dans les actes de justice. Notre vaillant historien insoumis pense-t-il autant de bien des articles interdisant les « coalitions ouvrières », les futurs syndicats, ou ceux traitant de la torture[2] ?
Au total, on note, sans en tirer de conclusions particulières, que les réticences de M. Lachaud face à la proposition de loi Molac sont ardemment partagées par M. Blanquer lui-même, comme l’ont prouvé ses prises de position lors des débats antérieurs à l’Assemblée et au Sénat. Gageons qu’il doit trouver bien accommodants des insoumis de cette sorte… Mais peut-être qu’en lui expliquant les choses avec des mots simples, M. Lachaud finirait par comprendre que non seulement l’enseignement des langues régionales n’enlève rien ni à celui du français ni à celui des autres langues vivantes, mais qu’il peut même contribuer à les améliorer.
Philippe MARTEL, historien, ancien président de la FELCO
[1] Voir à ce propos la réponse de la FELCO : http://www.felco-creo.org/15-02-20-la-felco-ecrit-aux-deputes-de-la-france-insoumise/
[2] Article 146 de l’ordonnance de Villers-Cotterêts : Seront incontinent lesdits délinquants, tant ceux qui seront enfermez, que les adjournés à comparoir en personne, bien et diligemment interrogés, et leurs interrogatoires réitérés et répétés selon la forme de droict de nos anciennes ordonnances, et selon la qualité des personnes et des matières, pour trouver la vérité desdits crimes, délicts et excez par la bouche des accusés si faire se peut.
Article 163 : Si par la visitation des procès, la matière est trouvée subjette à torture, ou question extraordinaire, Nous voulons incontinent la sentence de ladite torture estre prononcée au prisonnier, pour estre promptement exécutée s’il n’est appelant. Et s’il y en a appel, estre tantost mené en nostre cour souveraine du lieu où nous voulons toutes appellations en matières criminelles ressortir immédiatement, et sans moyen, de quelque chose qu’il soit appelé dépendant desdictes matières criminelles.
Le texte de Bastien Lachaud
Je suis pour le plurilinguisme et la protection des langues. Cela passe par la protection des langues régionales, bien sûr, mais pas seulement. L’accès à une seconde langue qui n’est pas forcément l’anglais doit être une politique publique. Cela passe par la liberté de choix de l’enseignement linguistique public, parmi de multiples langues. Le Ministère de l’Éducation nationale fait tout le contraire. L’enseignement des langues anciennes, le latin et le grec est très réduit. La possibilité de choisir l’allemand ou l’espagnol en langue vivante 1 devient rare ; les options en langue vivante 3 comme l’italien, le portugais, le russe, le chinois, le japonais, l’arabe se raréfient. Il faudrait au contraire ouvrir des places dans les concours d’enseignement public pour de nombreuses langues.
Il est heureux que les langues régionales aient toute leur place dans l’enseignement public. Mais je refuse de prendre le prétexte de l’enseignement de celles-ci pour subventionner largement l’école privée et la marchandisation des langues. Je refuse également que l’enseignement des unes se fasse au détriment de toutes les autres. Défendre l’enseignement plurilingue, y compris celui des langues régionales, de France métropolitaine comme d’Outre-mer, oui. Imposer les langues régionales prioritairement et restreindre d’autant l’accès aux autres, vivantes ou anciennes, non. C’est une question de liberté.
Je suis aussi inquiet de la domination linguistique d’un « globish » qui n’est même pas de l’anglais. Il faut aussi défendre l’emploi du français, notre langue commune, la langue de la République que nous avons en partage avec la francophonie, partout dans le monde. Je ne suis pas d’accord pour que les politiques publiques emploient des termes anglais et ne défendent pas partout l’usage du français. La nouvelle carte d’identité traduite en anglais en est le dernier exemple scandaleux. La défense de la pluralité linguistique passe aussi par la défense du français.
Extrait du rapport DUCLERT (p. 921) chapitre 7 : dérives des institutions, impensé du génocide…
7.3.3 Un système fermé et endogène de représentations
7.3.3.1 une conception figée du rôle de la France en Afrique
L’engagement de la France au Rwanda est indissociable des conceptions géopolitiques que se donnent les acteurs en responsabilité, à commencer par le président de la République dont les interventions en conseil de défense définissent assez précisément les grilles de lecture. La défense de la francophonie face aux menaces anglo-américaines s’impose comme un mot d’ordre et satisfait l’hostilité du chef de l’état pour les thèses atlantistes. C’est ainsi que le général Quesnot peut repousser la trop grande influence de l’amiral Lanxade, jugé trop atlantiste, auprès de François Mitterrand. La conception du « peuple majoritaire » et sa caractéristique démocratique dominent la représentation de la réalité rwandaise, ce qui amènent à adopter l’idéologie coloniale de la classification ethnique. Elle est profondément ancrée dans les représentations des autorités politiques comme dans celles des agents de l’état, à de rares exceptions près, généralement écartés des postes de responsabilités.