Colloque FLAREP – Nice – témoignage Michel Pallanca : Théâtre et pédagogie dans la vie de la cité à Nice

Inutile de développer le potentiel pédagogique du théâtre. C’est une forme à la fois ancienne et parfaitement vivante de la littérature occitane Nissarde. Il occupe dans la tradition populaire une place importante et assure depuis longtemps un rôle capital dans la transmission de la culture et de la langue de notre ville et du département des Alpes-Maritimes. Inutile de développer le potentiel pédagogique du théâtre

C’est une forme à la fois ancienne et parfaitement vivante de la littérature occitane Nissarde. Il occupe dans la tradition populaire une place importante et assure depuis longtemps un rôle capital dans la transmission de la culture et de la langue de notre ville et du département des Alpes-Maritimes.

C’est ainsi que l’enseignant que je suis – depuis 1999 – était déjà membre de la troupe du Théâtre Niçois de Francis Gag au milieu des années 1970. Le théâtre a donc pris tout naturellement sa place dans ma pédagogie.

Le propos de cette intervention sera de montrer, d’une part, de quelle façon le théâtre a pu être utilisé dans l’enseignement de l’occitan-Nissart et, d’autre part, comment cette démarche participe à la vitalité et à la défense de notre langue minorée.

  • Les premières expériences pédagogiques
  • Les NAT : « Nissart Au Teatre » (Les Niçois au théâtre)
  • Les spectacles pédagogiques interdisciplinaires & la Limpiàda
  • De l’utilité sociale du théâtre en langue

Les premières expériences pédagogiques

La méthode audio-visuelle « Jouan Badola vai à l’escola » & les saynètes interprétées par des élèves de CM2  suivies.

Écriture de certaines saynètes, encadrement des prises de vue, participation en tant que personnage et concepteur.

  • La méthode audio-visuelle

C’est un excellent outil d’apprentissage en classe, les élèves s’identifient bien aux comédiens et à la marionnette qui anime les séquences. Cette méthode est interactive (et éventuellement transposable à l’écrit).

Chacune des séquences comporte une petite scène interprétée par un groupe d’élèves de CE 2 (ils ont environ 10 ans) et par quelques adultes locuteurs / mise en situation vie courante. Une série de questions-réponses et d’exercices oraux est ensuite proposée par le personnage de Loli, une marionnette installée dans son castelet et animée par l’artiste Serge Dotti.

Cette méthode – qui était destinée a priori à des élèves du primaire – a été produite en 2001, sous la responsabilité de l’Inspection Pédagogique en Langues Régionales. Elle a été réalisée par les éditions Serre et financée par la Ville de Nice.

  • Les saynètes pédagogiques.

J’ai écrit plusieurs saynètes qui mettent en scène des situations de la vie courante, tenant sur une page format A4. Elles peuvent être interprétées en classe, ou mieux, dans une salle polyvalente, en fin de séquence comme en cours d’apprentissage. Chacune des saynètes est accompagnée d’un dossier de travail et d’évaluation.

Tout en étudiant la langue, les élèves de 6ème et de 5ème se familiarisent avec la pratique de la scène !

Ce sont de bons outils pédagogiques qui permettent la fixation de structures langagières et  lexicales. Les élèves sont de plus dynamiques et motivés par ce genre d’activités.

2- Les « Nissart Au Teatre ».

Ces méthodes pédagogiques scénarisées apportent entière satisfaction quant à l’apprentissage scolaire de la langue.

Toutefois – et dans le cas particulier d’une langue minorée – les élèves n’ont que peu d’occasion d’entendre la langue parlée dans la vie quotidienne ou dans les médias. Il est donc important, pour les jeunes comme pour leurs familles, de retrouver une langue bien vivante, en situation, en lien avec la réalité de la vie sociale de la cité niçoise. Pour cela, il est nécessaire de sortir du cadre scolaire.

Dès mes débuts dans l’enseignement de l’occitan, il m’est apparu que le travail de ma propre troupe de théâtre, la troupe du TNFG, devait bénéficier de façon spécifique à mes élèves, bien sûr, mais aussi à l’ensemble des élèves ou étudiants d’occitan de la cité, et plus largement de l’académie de Nice.

L’idée s’est donc vite imposée de proposer un « vrai spectacle » en langue et d’ouvrir – gratuitement – les répétitions générales de chacun de nos spectacles au public scolaire et étudiant. L’accord des membres de la troupe du Théâtre Niçois de Francis Gag et de son Président, P-L Gag, a été immédiat et unanime !

Les objectifs sont multiples :

  • Valoriser l’image de la langue niçoise en montrant aux jeunes et à leurs parents une expression culturelle authentique, une langue vivante, contemporaine et moderne.
  • Dans le même temps, permettre à ce même public de parfaire, voire d’acquérir, une connaissance du répertoire des classiques du théâtre niçois, et conforter ainsi une culture commune.
  • Sortir du cadre de l’étude scolaire de la langue et du théâtre pour proposer un répertoire en situation.
  • Permettre, tant aux débutants qu’aux étudiants confirmés – et à leurs familles – de se plonger dans le « bain linguistique » sans lequel l’étude d’une langue vivante ne correspond à aucune réalité sociale.
  • En impliquant les familles, éviter l’écueil de la « sortie pédagogique » vécue comme une corvée ou une récré et souvent chahuteuse.
  • Conforter, voire recréer, un véritable lien social autour de la langue et de la culture niçoise que la cellule familiale doit se réapproprier.

Cette démarche, qui consiste à sortir ensemble, en famille ou entre amis, pour assister à un spectacle en Nissart est l’occasion de rétablir un dialogue parents-enfants (& Grands-parents-enfants), de renforcer et de valoriser le rôle de transmission de la culture qui échoit aux familles. Le théâtre peut être, dans ce contexte, l’intermédiaire entre l’étude de la langue et une tradition populaire.

Il est entendu que la pédagogie doit – en l’occurrence – rester à l’école et que la représentation doit être considérée comme un « document authentique ».

  • Présenter le projet Nat – Nissart Au Teatre – c’est donc retracer l’histoire d’une synergie entre trois Institutions : la troupe du Théâtre Niçois de Francis Gag / l’Éducation Nationale / la Ville de Nice.
  • Le TNFG : c’est une troupe « historique » à Nice, officiellement fondée en 1936, qui fait preuve d’une créativité et d’une dynamique fortes.
  • L’EN : l’Inspection Pédagogique en Langue Régionale et les enseignants / comédiens de la troupe voient là un potentiel pédagogique remarquable.
  • La Ville de Nice, qui met à disposition les locaux du Théâtre Municipal du Vieux Nice (rebaptisé Théâtre Francis Gag),

Cette synergie est formalisée par deux conventions liant les trois piliers des NAT. La première concerne la troupe du TNFG et la Ville de Nice. Elle définit les modalités d’accès de la troupe aux locaux du Théâtre Municipal. La seconde, signée en 2010 par l’Inspecteur d’Académie,  lie l’Éducation Nationale et la troupe du TNFG. Elle entérine la qualité du travail et les résultats obtenus par cette mise en commun des moyens et des énergies.

3- Les spectacles pédagogiques interdisciplinaires

Toutefois, les NAT ne se suffisent pas à eux-mêmes pour l’apprentissage de la langue. Retournons donc à l’école et à la pédagogie !

Afin qu’il ne reste pas une discipline marginale ou confidentielle, et pour s’imposer comme indispensable dans le projet et dans la vie de l’établissement, l’occitan a dû tisser des liens transdisciplinaires avec d’autres matières et ouvrir le champ de l’enseignement à la culture et au patrimoine régionaux au sens large.

Ainsi, dans un premier temps, les liens se sont tissés avec les Sciences de la Vie et de la Terre, par la mise en culture d’un jardin de simples et un potager dans le cadre alors naissant des IDD. Parallèlement, ont eu lieu des sorties pédagogiques d’étude des milieux naturels méditerranéens et alpins. Cette démarche a vite débouché sur une présentation publique du travail des élèves. Ainsi sont nées les Limpiàda.

  • Les Limpiàda

Elles tirent leur nom du collège Port Lympia de Nice où elles sont nées et où elles ont grandi. Après quelques années d’évolution, les Limpiàda ont trouvé leur forme aboutie sous la forme d’un spectacle annuel, conçu en interdisciplinarité et présenté par une classe entière dans la salle du Théâtre Municipal Francis Gag. Ce projet pédagogique est organisé sur le schéma suivant :

  • Constitution d’une classe de 5ème à projet qui regroupe les élèves d’occitan-Nissart de ce niveau et crée une dynamique autour d’un « Projet Patrimoine ».
  • Dégagement, sur le temps scolaire, d’un horaire permettant de travailler en interdisciplinarité, Histoire-Géographie, Occitan, Français pour écrire et mettre en scène un spectacle trilingue. Se joindront à ce noyau des professeurs d’Italien, d’EPS, d’E Musical, d’Arts plastiques). Chaque année, un thème spécifique guide le travail de la classe, qui s’organise ainsi :
  • Le 1er trimestre est consacré au programme d’Histoire de 5ème (du moyen âge jusqu’à l’époque moderne), appliqué à Nice. Plusieurs sorties pédagogiques permettent aux élèves de reconnaître dans la ville les vestiges de ces époques. Le 2ème trimestre est plus spécialement consacré aux travaux de recherche et de documentation liés au thème de l’année et à l’écriture du spectacle – le plus souvent trilingue oc / fr / it. Le 3ème trimestre est quant à lui dédié au travail de mise en scène et de répétition du spectacle.

La Limpiàda est donc chaque année un spectacle des élèves, par les élèves, pour un « vrai public », dans un « vrai théâtre ». Elle suscite une motivation exceptionnelle.

La « classe patrimoine » et ses professeurs constituent la troupe, les parents, amis et camarades des autres classes constituent un public « captif », en cas de nécessité la troupe du TNFG peut prêter costumes et accessoires, quant au « vrai » théâtre il est tout trouvé, c’est le théâtre municipal Francis Gag !

  • Mondo o sia lou Pantai réinventait le voyage initiatique de la nouvelle de le Clézio ;
  • Laissatz-nos balar évoquait la Croisade albigeoise et l’exil des Troubadours ;
  • La legenda de Rocasparvièra explorait les rapports entre l’histoire et la légende de la Reine Jeanne ;
  • Catrina Zim Boum Bai de nouveau le rapport Histoire légende avec le siège de Nissa par les franco Turcs en 1543, des faits et des personnages historiques + un personnage légendaire : Catarina Segurana.
  • Quoura lou Francés pilherà Mont Auban ; autour des rapports difficile entre Royaume de France & Etats de Savoie, illustrés par les fortifications / Mont Alban
  • Lalin et Catarina illustrait l’idée de résistance, toujours à travers des personnages de légende ; Lalin, lors de l’épisode de l’occupation révolutionnaire et impériale & Catarina Segurana.
  • Troç dau pastrolh amorós florilège des scènes amoureuses du répertoire du TNFG.
  • Faulas de Ribassiera La seconde GM dans les A-M et la bataille de l’Authion de 1945
  • Celle que j’préfère relatait l’histoire du XVème corps (Niçois, Provençaux et Corses) en 1914, et illustrait le racisme intérieur dont ils ont été victimes. (avec des citations de « Histoire du soldat O » d’A. Neyton). Obtention du Label centenaire !
  • La Virgoleta que fa boqueta, après une visite chez l’artiste Ben, dans sa maison, explorait le rapport improbable entre les autochtones de Villefranche et les artistes des années 60, Ecole de Nice, Fluxus, Robert Filliou, epc. (en collaboration avec le cargé de mission éducation du Conseil Général.
  • Deux spectacles ont été nécessaires pour illustrer la vie aventureuse de notre héros Garibaldi, D’Una Laupia & Garibaldi, l’eròe que destourba. Le mouvement des nationalités dans les deux mondes, l’unité italienne, le second Empire, l’Annexion de 1860…
  • Suite au travail mené avec le C.G. autour des artistes R. Filliou & G. Brecht à l’occasion de la création de la Virgouleta, j’ai découvert la performance de R. Filliou L’Histoire chuchotée de l’Art, qui se propose de fêter l’anniversaire de l’Art autour de son poème en 12 parties. Traduction et création mondiale en oc nissart : L’Istòria bisbilhada de l’Art, après l’anglais, le français, l’allemand, etc. En collaboration avec la Municipalité de Villefranche, nous avons donc pu monter cette performance dans les ruelles de la vieille ville à plusieurs reprises, jusqu’à mon départ en retraite.
  • 4- Naissance du Pichin Teatre de Barba Martin.

C’est l’ultime évolution des projets pédagogiques autour du spectacle vivant au collège Port Lympia. Les élèves d’occitan de 4ème, frustrés de ne plus être en classe patrimoine exigent de participer eux aussi et à nouveau à la Limpiàda… Les mêmes élèves, parvenus en 3ème n’entendent pas abandonner les planches du Théâtre Francis Gag !

En hommage à la première troupe de théâtre niçois : Lou Teatre de Barba Martin, créée dans les années 1840, le professeur d’occitan et le professeur d’Histoire-Géographie, Diane d’Ovidio, créent donc Lou Pichin Teatre de Barba Martin.

Désormais tous les élèves d’occitan du collège constituent une troupe ! Les élèves de 5ème Patrimoine, de 4ème et de 3ème occitan, travaillent à la production de deux grands spectacles annuels au Théâtre Francis Gag.

En fin de 1er semestre, les 3èmes occitan produisent le spectacle qu’ils ont écrit et monté dans la première moitié de l’année scolaire. Puis c’est au tour des autres niveaux d’occitan de travailler à leur participation à la Limpiàda. Ces actions sont menées sur des heures disciplinaires, d’accompagnement éducatif, sur l’autonomie des Etabts, (voire des heures descendant du Rectorat !).

Tous les spectacles du Pichin Teatre de Barba Martin sont l’occasion de la création d’une affiche, d’un programme et d’invitations. Le texte final du spectacle, illustré des décors projetés en de fond de scène, est édité ; un livret est distribué aux élèves.

  • 5- De l’utilité sociale du théâtre en langue

L’écriture et la mise en scène d’un spectacle vivant est une occasion unique de donner sens à un vrai travail transdisciplinaire et de communiquer aux élèves une motivation et un enthousiasme peu communs. La synergie des piliers disciplinaires de ce projet, leur transmet des connaissances et une expérience personnelle très enrichissante, en immersion dans la culture au sens large autant que local, tout en rendant sa dignité et son utilité sociale à la langue minorée qu’est l’occitan-Nissart.

Cet argumentaire permet de répondre aux questions « a quoi ça sert ; où est-ce qu’on parle la langue ? »

On vient de voir que, du point de vue pédagogique, le théâtre remplit sa fonction et illustre de façon très positive l’occitan-Nissart. Mais au-delà du cercle scolaire, dans la vie de la cité, il est aussi un puissant vecteur de rayonnement, de crédibilité et de diffusion de notre culture minorée.

Ce travail au long cours illustre l’importance de tisser des liens avec des institutions et le monde associatif : TNFG / Còrou de Berra, des artistes, des Municipalités, qui peuvent mettre des moyens à disposition et donner accès à l’espace public / liens aussi avec des administrateurs des service éducation du Conseil Général et de l’Éducation nationale !

Tout cela n’existerait pas sans le travail et l’appui constant des équipes de Direction, des gestionnaires, des agents de service, des collègues avec lesquels il est indispensable de travailler en interdisciplinarité HG – IT – Musique, Arts pla, EPS, Oc & Fr…

En définitive, le prof d’oc doit se rendre indispensable au rayonnement de sa discipline à l’intérieur comme à l’extérieur de son Etablissement !

Travaillez selon « Ce que vous êtes, ce que vous faites, ce que vous aimez » ! Ainsi, le spectacle auquel vous avez assisté hier, La Demanda en matrimoni, réunissait sur scène Trois personnages, un professeur et deux anciens élèves d’oc en collège et lycée, tous membres de l’illustre troupe du Théâtre Niçois de Francis Gag ! cqfd…

 

Michel Pallanca, professeur certifié d’occitan-langue d’oc

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