Le bilinguisme français-langue régionale : danger le 16 mai, atout pédagogique le 23, ou quand M. Blanquer s’aperçoit qu’il aurait mieux fait de se taire.
(Voir à ce propos le très sérieux site du Café pédagogique : http://www.cafepedagogique.net/LEXPRESSO/Pages/2019/05/24052019Article636942810272627954.aspx )
Les propos tenus par M. le ministre de l’Éducation nationale, J.M. Blanquer, au Sénat lorsque la question des langues de France a été abordée au cours de la discussion du projet de loi dit « École de la Confiance » nous inspirent un certain nombre de remarques. Nous tenons à corriger des déclarations qui ne présentent avec la réalité que des rapports assez lointains.
Tentative de défense de la réforme des lycées
Le ministre Blanquer proteste, assez mécaniquement, de son attachement à la cause des langues de France. Il en donne pour preuve la création d’un « enseignement de spécialité » (EDS) langue régionale dans la réforme du lycée qu’il propose. De fait cet EDS, accordé d’ailleurs très tardivement, se retrouve en concurrence avec d’autres essentiels pour leurs futures études universitaires. De plus, il s’avère que fort peu d’établissements la proposeront : trois, semble-t-il, dans chacune des académies de Bordeaux, Toulouse et Montpellier et un à Aix-Marseille. Rien pour les académies de Limoges, Clermont-Ferrand, Grenoble et Nice.
Certes, il reste possible de choisir l’occitan en option, mais en dehors du fait que le coefficient proposé est ridiculement bas par rapport à celui dont bénéficient par exemple les langues et cultures de l’Antiquité, il semble que dans les formulaires d’inscription proposés aux familles, cette option soit souvent très imparfaitement présentée.
Théoriquement, enfin, l’occitan peut être une LVB, mais dans la pratique cela n’est presque jamais possible en lycée. Par ailleurs, le glissement de LVB en LVC, théoriquement possible est soumis au bon vouloir du chef d’établissement et souvent oublié sur les fiches de réinscription en première.
Des propos sur l’enseignement immersif…
L’essentiel de l’argumentation de M. Blanquer, face aux sénateurs, a concerné l’enseignement immersif. M. Blanquer semble croire qu’enseigner prioritairement la langue régionale risque d’enfermer les enfants dans un monolinguisme qui les écartera du français. Le ministre, visiblement mal conseillé, s’aventure ici sur un sujet, celui de la pédagogie en général et du bilinguisme en particulier, qu’il aurait gagné à éviter prudemment, faute de connaissances précises. Toutes les évaluations portant aussi bien sur l’enseignement immersif que sur le bilinguisme à parité horaire, tel qu’il est pratiqué dans l’enseignement public, démentent l’idée que l’apprentissage d’une langue de France nuirait à celui du français. En réalité c’est très exactement le contraire que l’on constate. Ces évaluations étant menées par les services de l’Éducation Nationale elle-même, il est curieux que M. J.M. Blanquer semble les ignorer. Et il faut ne rien connaître à la réalité des pratiques linguistiques dans ce pays pour s’imaginer que les enfants concernés n’auront aucun accès à un français omniprésent dans leur environnement.
… et une tentative de correction
S’apercevant – un peu tard – des réactions suscitées par ses déclarations, M. le ministre a jugé bon de les amender à travers un communiqué en date du 23 mai 2019. Il dit désormais estimer qu’une évaluation « en cours » devrait démontrer que l’apprentissage « d’une autre langue ne nuit nullement à l’acquisition du français, bien au contraire. » Que n’en avait-t-il pas été informé avant de s’exprimer devant les sénateurs, ce qui aurait évité au ministère de montrer une fois encore que les effets d’annonces et les interventions en tribune ne peuvent remplacer un suivi sérieux des dossiers. Mais il est vrai que sur la question de l’enseignement des langues régionales, le ministère a démontré avec constance depuis 2017 une incompétence qui dissimule mal un réel désir de liquidation.
L’enseignement immersif, pourquoi pas à l’école publique ?
L’enseignement immersif est dispensé pour l’essentiel dans des écoles associatives sous contrat. Elles n’ont été créées, il y a maintenant plusieurs décennies, que pour compenser la précarité de l’enseignement des langues de France dans l’enseignement public. Précarité qui, malgré quelques progrès, est hélas encore largement d’actualité. Là encore, le communiqué du 23 mai apporte une correction. M. Blanquer explique que « l’enjeu principal pour ces enseignements est d’offrir aux élèves un parcours scolaire complet de l’école primaire à l’enseignement supérieur, encadré par un nombre suffisant de professeurs bien formés ». Annonce louable, mais en contradiction avec une réalité du terrain qui voit les cursus constamment remis en question et le nombre d’enseignants diminuer régulièrement faute d’un nombre de postes suffisant aux concours. Elle ne fait en réalité que confirmer l’incapacité du ministère à apporter d’autres réponses aux problèmes que des éléments de langage qui ne trompent plus personne.
La revendication des associations qui ont porté les projets d’école immersive était, dès le départ, une intégration au service public d’Éducation Nationale qui leur a été refusée, les rejetant dans la marge du système éducatif de ce pays. Alors même que dans certaines régions (pour le catalan depuis plus de 20 ans dans les écoles Arells), c’est dans l’école publique elle-même que des expériences d’immersion ont pu être menées, il semble que la position du ministère n’aille pas dans le sens de l’extension de ces expériences dans d’autres régions.
Quelles responsabilités de l’État en matière de langues de France ?
Tout autant que l’enseignement bilingue à parité horaire, l’enseignement immersif pourrait trouver sa place dans l’école de la République. Ce n’est de toute évidence pas l’objectif du ministère puisque M. Blanquer affirme dans son communiqué du 23 mai que, conformément aux engagements du Premier ministre, le ministère soutiendra « les collectivités volontaires pour développer l’enseignement en langue régionale ». Ce qui revient donc à annoncer un désengagement de l’État au profit de collectivités territoriales – dont on sait quelles énormes contraintes budgétaires pèsent sur elles – sans que de nouveaux moyens ne leur soient donnés. On sait par ailleurs, que ces collectivités (villes, départements, régions) ne font pas toutes preuve du même volontarisme à l’égard de l’enseignement des langues de France : les disparités de financement sont immenses à l’intérieur des cinq régions occitanes et encore plus grandes entre ces pays d’oc d’autres espaces où existent des langues régionales.
Où l’on reparle de l’article 2 de la Constitution
Blanquer ne manque pas d’évoquer le barrage de l’article 2 de la Constitution, et se garde par contre de faire référence à l’article cosmétique 75-1.
Il confirme ainsi que, contrairement aux assurances prodiguées en 1992 lorsque cet article 2 a été introduit dans le texte constitutionnel, c’est bel et bien contre les langues régionales, et non contre l’anglais qu’il est régulièrement mobilisé. « Il y a une langue de la République et il y a des langues de France et nous devons les soutenir », affirme M. Blanquer dans son communiqué du 23 mai.
Il eût été heureux qu’il n’opposât pas ainsi langue de la République et langues de France qui, jusqu’à preuve du contraire, sont parlées et étudiées par des citoyens de la République. On se trouve là encore face une déclaration assez symptomatique de ce que vivent les enseignants de langues de France, les élèves et leurs parents au quotidien : des actes qui démontrent une volonté de se débarrasser de ces enseignements et des paroles qui, même quand elles se veulent rassurantes, ne peuvent dissimuler une certaine forme de mépris. Il est donc plus que jamais nécessaire, dans le cadre d’une éventuelle nouvelle refonte de la Constitution, de compléter cet article 2 en y insérant la mention explicite de l’appartenance des langues de France à la culture vivante de la Nation.