26-06-23 : combattre les idées reçues sur les langues régionales

Nous sommes tous et toutes confrontés régulièrement à des arguments mettant en cause l’intérêt des langues dites « régionales ». Voici quelques-unes de ces objections et des réponses qui peuvent leur être opposées. Cet argumentaire a été rédigé par Philippe Martel au moment des débats sur les langues régionales suscités en 2008 par Christine Albanel, alors Ministre de la culture.

  • « On ferait mieux de commencer par améliorer le niveau en français » 

en dehors du fait que bien souvent le français de ceux qui font cette objection mériterait lui-même d’être amélioré, on peut faire remarquer que les problèmes du français parlé et écrit se posent partout, y compris dans des régions sans langue régionale, et que ne rien faire pour ces dernières ne règlerait aucunement le problème du français, qui se pose à un autre niveau. Au contraire, la mise en parallèle avec les langues de France peut aider à donner le recul nécessaire à une meilleure prise en compte de la qualité du français.

  • « On ferait mieux d’enseigner une langue étrangère ».

La réponse précédente peut valoir ici aussi (il serait mesquin de demander quelles langues étrangères pratiquent ceux qui tiennent ce discours) : les bienfaits cognitifs du bilinguisme font maintenant partie des choses acquises.
On peut citer une vieille formule de l’ethnologue anarchisant Van Gennep en 1911 : « On dit : savoir plusieurs langues empêche d’en savoir bien aucune. Ces formules ont pour auteurs des impuissants intellectuels, et ce sont des impuissants intellectuels qui les répètent » (lui même en parlait sept, de langues…)

  • « On ferait mieux de favoriser des enseignements utiles qui donnent de l’emploi » :

où passe la frontière entre l’utile et l’inutile ? Quel intérêt de faire de l’histoire, de la littérature, de la philosophie, même ? Et comment être sûr qu’une langue régionale ne peut pas offrir un emploi ?

  •  « Tout ça coûte cher, et c’est nos impôts qui le payent » :

cet argument poujadiste surestime le coût de l’enseignement des langues régionales. Dans le cas de l’enseignement bilingue, il n’y a pas de coût supplémentaire, mais simplement la spécialisation d’un enseignant membre de l’équipe pédagogique d’une école.

  • « On fait déjà assez pour les patois » :

c’est ce qu’on dit quand on ne connaît pas la situation dans l’enseignement comme dans les médias.

Maintenant, des arguments plus « politiques » :

  •  « Tout ça menace l’unité nationale » :

les Français ont passé leur histoire en guerres civiles, chaudes ou froides, d’où la référence pathétique à l’unité… Mais ils se sont battus sur des questions sociales, politiques, religieuses, jamais sur la question de la langue. Les parallèles avec la Belgique et l’Espagne, dont les histoires sont totalement différentes, n’ont aucune valeur. Par ailleurs, si parler occitan ou breton impliquait un refus de la France, depuis le temps ça se saurait. Cet argument est une insulte faite à des citoyens français qui ont prouvé leur loyauté à la nation (ce n’est pas le moment de balancer les grandes imprécations contre la France franchimande qui que dont)

  •  « La langue de la République est le français » :

Les monarchistes parlent basque ? Les fascistes parlent breton ? Ceux qui parlent occitan sont pour la restauration des Mérovingiens ? Le personnage de Marianne n’a pas été inventé par un auteur occitan en 1792 ?

  •  « C’est contradictoire avec la conception française de la nation, qui est politique et non ethnique ».

Si elle n’est pas fondée sur un critère ethnique, il ne faut pas faire de la langue française la marque de la nationalité. Le français est la langue commune de gens qui partagent une même adhésion à une communauté politique dite « la Nation ». C’est une commodité communicationnelle nécessaire au fonctionnement des institutions démocratiques. Si on doit la considérer comme langue unique, c’est de l’ethnicisme.

  •  « Donner un statut à la langue veut dire reconnaître une communauté à l’intérieur de la communauté nationale dans un système français qui ne connaît pas de groupes, mais seulement des individus libres et égaux » :

alors il faut supprimer tous les syndicats, les partis, les associations, qui réunissent tous des gens qui « se séparent » des autres citoyens sur la base d’intérêts communs.

  •  « Reconnaître les langues régionales introduit une inégalité entre ceux qui les parlent et les autres ».

Variante de l’argument précédent. C’est un sophisme. Les inégalités véritables de la société française, qui sont en train de s’approfondir chaque jour un peu plus, n’ont rien à voir avec la question de la langue. Et au surplus, la véritable inégalité est entre ceux à qui on reconnaît leur langue et ceux à qui on refuse cette reconnaissance. Et après des siècles de mépris pour le « patois » des pauvres, en faire aujourd’hui le signe d’un privilège, il ne faut quand même pas pousser.

  •  « La langue est une affaire privée : elle n’a donc pas sa place dans l’espace public, sinon, c’est le communautarisme qui arrive ».

La langue sert à parler à d’autres ; c’est donc par nature un fait collectif. Permettre son expression dans l’espace public est nécessaire.

  •  « Personne n’empêche qui que ce soit de parler occitan » ;

sophisme. On ne voit pas comment on pourrait l’empêcher, sauf à mettre un flic sous la moquette de chaque chambre (ça prend de la place, en plus). Le vrai problème, c’est donner les moyens d’une valorisation de la langue en société, et d’un fonctionnement minimal.

  • « Avec la Charte, ceux qui déménagent dans une région où on parle autre chose que le français seront obligés d’apprendre la langue du coin, sinon le facteur ne leur donnera pas leur courrier ».

Là, ce n’est pas un sophisme, mais un mensonge : ce que la France a signé exclut cette hypothèse, qui de toute façon ne correspond pas à la réalité sociolinguistique du pays, sauf peut-être dans les DOM TOM.

Et un peu de parano pour rire :

Quand on reprend l’histoire de la question telle qu’elle s’est posée depuis le rapport Arfé (un Sarde) en 1981, et qu’on sait quels ont été les élus ou les fonctionnaires européens qui ont fait avancer la question, on voit bien que l’ombre du FUEV prussien est un pur fantasme. Autant en rire (vous et moi nous savons bien qu’en réalité, ce sont les Klingons, alliés avec les Siths, qui manipulent tout le monde).

  •  Variante « de gauche » : « c’est un complot pour affaiblir les Etats-nations, seuls remparts contre la mondialisation  capitaliste qui fait sauter tous les acquis sociaux».

Comme si le capitalisme international avait besoin des langues régionales pour attaquer les acquis sociaux, et comme si les gouvernements « nationaux » n’étaient pas les premiers à les faire sauter, ces acquis…ttre

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