PROPOSITION DE LOI relative à la protection patrimoniale des langues régionales
et à leur promotion : http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b2548_proposition-loi
Ce n’est pas la première fois que Paul Molac dépose une PPL sur les langues régionales, et on peut de ce fait reconnaître son engagement sur ce thème. Cela dit, la première PPL déposée par lui en 2016, et une des rares à avoir eu un vrai parcours en commission, a connu l’échec (si ma mémoire est bonne elle n’a pas pu être discutée dans sa totalité). Le nouveau texte déposé en vue d’une discussion dans les semaines à venir appelle plusieurs remarques.
Le long préambule est constitué pour l’essentiel par le résumé des articles de la PPL. Cela semble un usage fréquent dans le travail parlementaire actuel, mais cela présente l’inconvénient d’esquiver tout débat réel sur les finalités de la loi proposée. En clair : pourquoi adopter une loi de promotion des langues régionales ? En quoi cela peut-il constituer un enrichissement de la culture nationale ? P. Molac inscrit son propos dans le prolongement de l’article 75-1 de la constitution qui fait des langues régionales un « patrimoine ». Ce qui amène à les enfermer dans un statut fondamentalement mineur, lié à un passé vénérable, mais mort. L’idée qu’elles ne soient pas seulement un héritage, mais aussi des outils de création concourant à la vitalité de la culture nationale dans son ensemble est totalement absente, ce qui est une dangereuse concession faite au sens commun français ordinaire qui ne voit là au mieux qu’un folklore inoffensif.
La focalisation sur l’article 75-1 a certes le mérite de rappeler que sans conséquences pratiques, notamment législatives, cet article est parfaitement inutile, ce qui rend quand même problématique sa présence dans un texte constitutionnel qui n’a rien d’anodin. Mais cette focalisation fait l’impasse sur le vrai problème, qui est celui de l’article 2. P. Molac parle de complémentarité entre les deux articles, il n’est pas sûr que le Conseil Constitutionnel partage cette opinion. La seule complémentarité possible serait l’inclusion dans l’article 2 de la phrase proposée par plusieurs élus dès la discussion du texte en 1992 : « dans le respect des langues régionales ».
Les deux premiers articles ne semblent pas apporter d’innovations majeures : rien n’empêche actuellement la prise en compte du « patrimoine immatériel » tel que défini dans le préambule (enregistrements, manuscrits…) sauf à indiquer que cela implique des lignes budgétaires particulières dans les budgets des institutions culturelles concernées -dépôts d’archives, bibliothèques publiques…)
Dans le domaine de l’enseignement, on ne voit pas trop l’intérêt pratique des articles 3 et 4 qui se bornent somme toute à confirmer ce qui existe déjà. On aurait pu envisager de proposer une meilleure prise en compte des langues et cultures régionales dans les programmes nationaux de français et d’histoire-géographie. On aurait pu aussi mettre l’accent sur le fait que, quel que soit l’importance du rôle des collectivités territoriales, celui de l’État ne doit pas être négligé, ni sa responsabilité diluée.
Les articles les plus importants concrètement sont en fait le 5 et le 6, consacrés au financement des écoles privées assurant un enseignement bilingue -entendons immersif, en langue régionale. Ce qui pose quand même quelques problèmes :
– n’aurait-il pas été opportun de proposer l’extension du système immersif à l’ensemble du système éducatif, y compris public, donc, dans le droit fil des expérimentations menées en Catalogne nord, Pays basque et Corse ?
– du point de vue politique, tels quels, ces deux articles risquent de provoquer des réactions d’hostilité aussi bien des défenseurs de la loi Falloux, que de ceux de l’enseignement privé en général : pourquoi accorder à l’immersif une dérogation que l’on refusera encore à l’enseignement confessionnel par exemple ?
Les articles 8 et 9 abordent la question de la présence des langues régionales dans l’espace public, pour ce qui concerne la signalétique (où un texte de loi éviterait effectivement des conflits juridiques comme l’affaire des panneaux de Villeneuve lès Maguelone), et, actualité oblige, les signes diacritiques dans les patronymes. De telles dispositions ne sont certes pas inutiles, mais on s’étonne de ne voir aucunement mentionnée la question de la présence des langues régionales dans les médias ou le spectacle vivant par exemple : pourrait ainsi être envisagée la mise en place de quotas de chansons en langues régionales dans la radiodiffusion publique, ou l’extension de la place des langues régionales dans les chaines de télévision publique, sans préjudice du soutien à des médias privés ou associatifs.
Au total, il semble peu probable qu’un tel texte trouve une majorité pour le soutenir, surtout dans le cadre réduit d’une niche parlementaire d’une heure et demie. Il n’aura selon toute probabilité d’autre intérêt que d’enrichir la liste déjà assez longue des textes mort-nés concernant les langues régionales. Il n’aurait pas été inutile de le soumettre auparavant à l’avis des associations compétentes dans les différentes langues.