Depuis la rentrée, face aux inquiétudes grandissantes face à la réforme du lycée, notre fédération a lancé une enquête auprès des professeurs certifiés qui enseignent l’occitan. Grâce aux témoignages d’une trentaine d’enseignants, nous proposons ici une synthèse qui en reprend les thèmes récurrents.
1- La situation actuelle : constat de fragilité, voire de précarité
La fragilité de nos enseignements en lycée n’est pas nouvelle. Il y a des années que nous dénonçons la précarisation croissante de nos collègues, leurs difficultés à enseigner leur discipline et, par conséquent à fournir aux universités un vivier d’étudiants suffisants, puis de maîtres en formation pour permettre la continuité des cursus.
Plusieurs raisons à cela :
- La baisse d’attractivité croissante des enseignements des langues régionales, par le jeu des coefficients et par la concurrence déloyale avec les enseignements de langues anciennes notamment (LCA dont le coefficient est surévalué), mais aussi d’autres options à la mode (numérique, chinois…) alors même que rien n’est fait au niveau de l’administration (Ministère, Rectorat) pour porter à la connaissance des cadres de l’Éducation nationale, des parents, des élèves, l’intérêt humaniste et citoyen des langues de France.
- Les horaires peu attractifs : c’est un constat global partout où est enseignée la langue. Les cours sont souvent placés de 16h à 17h, de 17h à 18h quand ce n’est pas le mercredi après-midi en fin de journée. Du côté de Nice on trouve des horaires le mercredi après-midi : de 13h30 à 15h30. Parfois, à la rentrée, les heures sont oubliées dans les fiches d’inscription ou dans les emplois du temps.
2- Les craintes suscitées par la réforme
a- Risque accru de précarisation des postes
Les collègues craignent que la réforme déstabilise les personnels et détruise la pérennité des postes en place. Dans l’académie de Toulouse les professeurs évoquent « un net recul ». Certains sont installés dans leurs lycées depuis quinze ou vingt ans, ils se sont battus pour fidéliser leurs élèves, asseoir leur réputation et enseigner dans l’optique du bac pour valoriser l’apprentissage des jeunes. Or, l’approche de la nouvelle réforme du bac est source d’angoisse car on craint une déstructuration des horaires fragiles mis en place depuis des années. Les professeurs de langues régionales qui avaient enfin installé et normalisé leur enseignement (ils sont malheureusement trop rares) grâce à un poste fixe leur assurant une stabilité personnelle et professionnelle dont bénéficie la qualité de leur enseignement se sentent aujourd’hui en danger. Demain, la précarisation, la forte concurrence entre disciplines la multiplication des postes, des trajets et des niveaux à assurer du collège au lycée risquent de compromettre leur pratique professionnelle. Or on ne peut pas assurer sa réputation de bon enseignant, le sérieux, le suivi, la préparation des cours et la reconnaissance de ses élèves si on navigue d’un établissement à l’autre et si le poste est menacé chaque année au nom de la « rentabilité » des effectifs. Une enseignante de l’Académie d’Aix témoigne : « J’ai tout mon service en provençal. Malheureusement, la réforme du lycée menace cet équilibre.»
b- Les réticences croissantes des parents et des élèves
Le bilan, des Alpes aux Pyrénées, est le même : L’attractivité de l’occitan tel qu’il apparaît dans le nouveau cadre des enseignements du lycée est brutalement limitée. L’annonce de la réforme a déjà pour conséquence une baisse des effectifs, y compris dans le cadre de sections bilingues, comme en témoigne un professeur de l’Académie de Toulouse. Un collègue remarque :
« Nous assistons à un profond changement de mentalités. Cette année, à l’entrée en seconde, les élèves ont choisi un autre enseignement d’exploration ou une autre option facultative que l’occitan ».
Ce nouveau bac apparaît comme un bac à la carte qui va voir se creuser encore les écarts sociaux. Les élèves et leurs familles ne seront pas égaux devant l’information, et de nombreuses options sont menacées suite à l’imposition d’effectifs minimum. Pour un collègue de Nice, c’est l’idée d’égalité dans l’école de la République qui est mise à mal :
« l’option sera proposée, mais l’obligation « d’effectifs viables » (quinze élèves) par cours est un gros danger de disparition au nom de la rentabilité. Ces effectifs ne sont pas imposés en latin et en grec : pourquoi deux poids, deux mesures ? L’égalité bafouée dans un pays qui se gargarise de l’Egalité universelle. »
Un autre collègue note : « Je vois là une discrimination qui va à l’encontre des fameuses valeurs de la République. Je ne me résous pas à l’idée qu’il faille déménager pour étudier la langue de ce pays. »
L’annonce de la réforme interroge les élèves. Dans un lycée d’Aix-Marseille, certains élèves de terminale (ils sont 17 actuellement) qui ont eu la chance d’étudier la langue d’oc en lv2 ou lv3, font déjà le compte : ils savent que le service de leur professeur est menacé par le faible coefficient attribué à l’occitan dans le cadre de la réforme. Le professeur concerné a été interrogé par une de ses lycéennes : « Monsieur, vous perdez votre poste ? Je sais que c’est délicat à demander mais… on a fait le calcul… »
Constat partagé par un enseignant de l’Académie de Nice :
« Stressés par le parcours post bac, des terminales déclarent anticiper la réforme. Ils se concentrent sur les objectifs principaux. Cette rentrée est pour moi et pour d’autres collègues de lycée la pire en nombre d’inscrits en terminale. »
Reprenons les propos d’un professeur de l’Académie de Toulouse :
« la réforme du lycée est catastrophique. Certes les élèves auront le choix de l’occitan en langue C. Mais avec les parents d’élèves, ils ne sont pas dupes, ils voient les coefficients et savent les additionner. »
Par ailleurs les quelques possibilités de statut de l’occitan n’apparaissent pas sur les plaquettes d’information où manque la mention, en clair « langues étrangères et régionales », chaque fois que les textes le permettent Ajoutons à cela la possibilité laissée aux élèves par les chefs d’établissement d’abandonner l’option en cours de formation. Autant de signes de non prise en considération, voire de mépris.
Si l’information aux familles fait ainsi défaut, les enseignants eux-mêmes se montrant parfois réticents à rencontrer les élèves de troisième, car ils sont dans l’incertitude sur le devenir de leurs enseignements.
Les élèves sont évidemment mal informés. Même dans un lycée dynamique de l’Académie de Toulouse, aucune communication n’est faite autour de l’occitan, et les parents intéressés par le bilinguisme, abandonnent :
« La réforme du lycée n’apporte aucune réponse, me semble-t-il, à l’enseignement bilingue en lycée. Certes c’est une nouveauté mais il faut toute de même permettre une continuité pour ces jeunes. Qu’en sera-t-il aux épreuves du baccalauréat ? Rien n’est pour l’instant prévu alors qu’une classe est en première. Les parents sont inquiets. Certains ont abandonné par ce qu’aucune réponse de l’administration ne leur a été donnée. Nous avons interrogé l’IGEN, la Rectrice, mais notre lettre est demeurée sans réponse. »
c- Les attitudes de la hiérarchie – la souffrance au travail
La réforme veut mutualiser les moyens, nous dit-on. Il apparaît qu’il s’agit surtout d’économiser sur les options. Ces économies à réaliser apparaissent comme une nécessité qui conduit la hiérarchie, même là où elle était bienveillante, à user de stratagèmes pour diminuer les heures ou tout simplement les supprimer.
Ainsi, des proviseurs convoquent les professeurs certifiés de langue régionale plusieurs fois dans leurs bureaux, en tête à tête. Avec une fréquente désinvolture, ils évoquent une possible reconversion de l’enseignant ou annoncent directement la suppression du poste. Ils s’interrogent sur le possible maintien d’une LVC dans le cadre de la réforme. Le faible pourcentage de la note totale au bac dans le contrôle continu est répété à l’envi pour signifier que le rôle de l’enseignant n’est plus nécessaire ou indispensable au sein de l’établissement. « Vous ne serez plus attractif », disent-ils. Le professeur de LR est alors confronté à la compassion des autres collègues qui lui demandent ce qu’il va devenir. Un professeur de l’académie d’Aix témoigne ainsi : « Les collègues me demandent si je vais partir, si je vais finir dans ma valence ou si je vais quitter le lycée. »
Un professeur de l’Académie de Toulouse ajoute :
« De mon point de vue il est évident que la réforme va vider nos effectifs. Que me demandera-t-on de faire ? Je suis aussi professeur de lettres françaises, vais-je accepter d’enseigner les lettres françaises ? Je ne le crois pas. »
Une autre enseignante s’exprime ainsi :
« Je me demande si je pourrai continuer à enseigner en lycée car la réforme risque de marginaliser encore cet enseignement. La hiérarchie ne répond que rarement à mes sollicitations et, lorsqu’elle le fait, elle minimise les craintes (il y a plus important et plus urgent). »
La demande faite à un enseignant de langue régionale de se recycler dans sa valence a parfois des conséquences très graves, ainsi que le révèle un témoignage de l’Académie de Nice :
« Une collègue ancienne s’est mise en arrêt maladie. Depuis une vingtaine d’années qu’elle était en poste, elle avait joué sur sa valence pour s’implanter et pour faire de la « publicité » pour l’occitan. Résultat, d’année en année, la valence devient majoritaire dans son service et elle enseigne de moins en moins d’heures d’occitan. Jusqu’à la grande minorité de son service. »
Le chef d’établissement fait allusion au « coût » du professeur d’occitan quand il est face à l’enveloppe budgétaire qui lui est attribuée dans le cadre de la DGH. Cette enveloppe budgétaire finance les autres options facultatives, mais permet aussi de créer des secondes à effectifs réduits. C’est ce que dont témoigne cette collègue de la région de Montpellier:
« Les heures d’occitan ont été très impactées cette année par la réduction de la DGH et par les choix d’établissements (plus d’heures aux dédoublements de classes et moins aux options, moins aux langues en général aussi.) »
Les classes à vingt ou vingt-cinq élèves sont une priorité. L’option facultative est négligée dans le budget. Comme le souligne un collègue dans l’académie d’Aix-Marseille :
« on perd plus de temps à se battre pour être conservé dans la DGH, à lutter contre les autres options en place, qu’à préparer des cours et enrichir leur contenu. L’argent est la première valeur dans l’école de la République, on oublie l’émancipation intellectuelle du lycéen ».
Il est arrivé qu’avant même la mise en place de la réforme, le Proviseur, au nom de son pouvoir discrétionnaire se soit permis d’éliminer unilatéralement l’option. Un professeur, qui enseigne dans l’Académie d’Aix-Marseille, désespéré, raconte ainsi l’annonce brutale que lui a faite son chef d’établissement : « avec la réforme, la langue régionale n’a plus de place au lycée. Je suis viré. »
Voilà l’autre témoignage douloureux d’une enseignante investie dans un lycée de l’Académie de Montpellier, et qui montre la désinvolture et l’attitude violence de son supérieur :
« La situation de l’oc est déjà réglée dans mon lycée en raison de la décision du proviseur de fermer la section. À aucun moment, réforme ou pas, le proviseur ne m’a approchée pour envisager mon avenir professionnel ! »
Certains proviseurs préfèrent l’indifférence. Une autre enseignante de la même académie rapporte : « Ma hiérarchie me fuit, ce qui n’est pas bon signe. »
Les chefs ou l’administration restreignent les budgets pédagogiques, ce qui renforce l’impression de violence ressentie par nos collègues. Dans des lycées du Vaucluse et de Nice, les moyens sont rarement attribués à la pédagogie de la langue d’oc. Ainsi de ces témoignages :
- « Les crédits d’enseignement de l’occitan ont été rognés, sans qu’on m’en ait informé officiellement… ».
- « pas de budget alloué à l’occitan, pour faire des commandes. Dans un des CDI, l’intendante nous avait déclaré la première année : « j’ai travaillé au Rectorat de Nice, de toute manière, je sais que votre enseignement ne va pas durer, alors… » »
Violences verbales, empêchements financiers, les professeurs se sentent toujours pris en embuscade.
D’autres réactions expéditives sont radicales pour empêcher l’enseignement de l’occitan : « Le lycée qui fait la continuité avec mon établissement ne propose plus le provençal car le chef d’établissement a choisi de répartir les secondes en dix-huit classes pour vingt-quatre élèves par classe avec deux heures d’accompagnement personnalisé faites par le professeur principal. »
Cependant, l’enseignant qui atteint son objectif au sein de son établissement peine aussi à convaincre le rectorat du de l’importance de son travail. Ce professeur, chargé de communication dans l’Académie de Nice se scandalise :
« Je suis actuellement en poste sur deux lycées pour répondre à une demande en occitan avoisinant les deux-cent élèves. Or, malgré ces chiffres record pour une option facultative, une mutualisation de l’enseignement a été évoquée. »
Certes, il est des cas plus heureux. Dans l’académie de Grenoble, une nouvelle titulaire du CAPES-Occitan-Langue d’Oc (NB : la seule certifiée en poste pour les 2 départements occitans de cette académie…) se sent soutenue par sa hiérarchie (impulsion de la direction, organisation d’une « semaine occitane », information aux classes de seconde, projets interdisciplinaires en plus des cours de langue. Elle est reconnue pour son travail mais les impératifs de rentabilité son tels qu’elle craint de n’avoir les effectifs suffisants pour pérenniser son poste. Elle est en « ballotage » (le mot est d’elle) avec l’italien LVC. Un effort sera demandé au rectorat pour la rentrée prochaine comme condition de maintien. Du côté d’Aix, le collègue menacé dans un lycée est rassuré : son autre chef d’établissement est bienveillant. Ses heures sont bien intégrées dans ce deuxième lycée avec un effectif très raisonnable.
Ce que disent ces témoignages : les craintes suscitées par la réforme
La continuité de notre enseignement, ces témoignages le font bien apparaître, n’est liée qu’à la bienveillance ou au bon plaisir de l’administration. De plus, une vision étroitement « gestionnaire » privilégiant l’économie ou la rentabilité, empêche une liaison intelligente entre le latin, l’italien et l’occitan car la concurrence, et l’individualisation divisent. Ce qui est inédit est d’apprendre par la bouche du chef d’établissement que le professeur n’appartient plus à cette grande « entreprise » qu’est le lycée : comme si l’école de la République devait fonctionner sur le modèle d’une usine soumise à des « mesures de sauvegarde – sic – de l’emploi » ! Au pays des lumières, il y a de quoi s’interroger sur l’enseignement de nos humanités mais aussi sur le statut du fonctionnaire d’état.
Nous nous devons d’ajouter que ces témoignages ne prennent pas en compte – et pour cause – les cas, relativement nombreux, dus à la souffrance au travail, d’abandons, de congés de longue maladie, de repli sur la valence… qui réduisent, d’année en année, la quantité des ressources humaines disponibles.
Les parents aussi sont entraînés dans cette spirale de découragement, quels que soient les efforts de construction de projets pédagogiques entrepris par de nombreux collègues.
Au niveau de l’Université nous voyons les viviers s’appauvrir et donc remis en cause tout le processus de formation des futurs maîtres et de continuité des enseignements pourtant proclamée par les textes. Les collègues des « petites » langues (italien, allemand, portugais) ont les mêmes problèmes d’effectifs (et pour les mêmes raisons) en LLCER (langues, littératures, civilisations étrangères et régionales), mais l’existence de la licence LEA (langues étrangères appliquées), à laquelle évidemment les LR ne peuvent prétendre permet de sauvegarder les situations. Les cursus de langues régionales sont étranglés par les deux bouts : la mention explicite « et régionales » figure rarement dans les textes organisant les enseignements du second degré (même lorsqu’elle est sous-entendue par ces textes), et, à la l’Université, ces enseignements de licence sont cantonnés à une seule mention de licence alors que les langues vivantes étrangères en ont deux.
Nos propositions
Il nous apparaît donc indispensable que le cadre de la réforme soit totalement revu :
- Retour aux possibilités antérieures de prise en compte des langues régionales dans l’évaluation du baccalauréat : c’est-à-dire au moins possibilité de choisir deux options en première et en terminale avec prise en compte des points au-dessus de la moyenne
- Prise en compte de l’occitan dans tous les bacs technologiques.
- Possibilité de prendre l’occitan en LVA (notamment pour les élèves des sections bilingues), LVB et LVC avec mention explicite dans tous les textes officiels.
- Revalorisation des coefficients qui tienne compte du poids total de l’ensemble de ceux-ci
- Possibilité de présenter les épreuves de langues régionales en candidat libre pour les lycées où cet enseignement n’est pas proposé
- Information des cadres de l’Éducation nationale – DASEN, proviseurs – familles et des élèves de l’intérêt humaniste et citoyen de l’enseignement des Langues régionales : édition d’une plaquette spécifique et réécriture des textes qui précise clairement que LV = Langues vivantes étrangères et régionales.