L’enseignant dans le système bilingue, un acteur majeur ?
Répondre à la question « l’enseignant dans le système bilingue, un acteur majeur » revient à rappeler que l’enseignant de classe bilingue n’est pas « simplement » une personne dotée d’une double compétence, en discipline et en langue, mais aussi un enseignant citoyen et didacticien. Selon moi, la question peut être prise selon trois axes.
Photo FELCO : NB : nous étions en Alsace, régime concordataire, ce qui explique sous quelle protection s’est déroulée l’intervention…
Acteur « politique », au sens de vie de et dans la cité
L’enseignant·e bilingue est le fruit d’un paradoxe : il-elle est le reflet du « succès » des filières bilingues, dont la demande est croissante, et il-elle est celui-celle qui doit faire face au défi de la diminution régulière du nombre de locuteurs de LR.
Il-Elle est également le fruit d’un enseignement divisé, de part l’héritage des clivages idéologiques en France, entre enseignement associatif, public et privé confessionnel.
Par ailleurs, traiter du bilinguisme scolaire c’est traiter une question institutionnelle puisque les décisions concernant les LR sont centralisées, dans le cadre d’un État dit monolingue.Par ailleurs, les modèles sociaux de l’enseignement bilingue français sont divers.
En France, trois modèles me semblent exister :
- maintien : maintenir et promouvoir le potentiel bilingue existant ;
- revitalisation : récupérer une langue minoritaire régionale menacée ;
- enrichissement : stimuler, pour tous, la compétence dans une diversité de langues, dont des langues à statut social différent.
L’enseignement bilingue pose évidemment la question de la norme, du standard et des variantes, ce qui revient à se poser la question de déterminer quelle(s) forme(s) doi(ven)t être enseignée(s).
Traiter du bilinguisme français-LR c’est aussi se poser la question de la place hypercentrale de l’anglais car le bilinguisme français-anglais est très attirant, dans la logique actuelle, et représente une vraie menace sur la diversification des langues, notamment régionales.
Enfin, les « néo-locuteurs » invitent à réinterroger notre vision du bilinguisme pour aller vers une réflexion sur la construction d’un espace public en LR, capable de co-exister avec l’espace public francophone. Question d’autant plus légitime en territoires transfrontaliers…
Acteur « social », syndical et/ou associatif
Les enseignant·e·s bilingues sont, de fait, des militant·e·s au sens où sans eux-elles, cet enseignement spécifique ne peut pas exister.
Ainsi, se retrouvent-ils/elles souvent à mener des batailles, avec les organisations syndicales, sur les postes (cela vaut tant pour le CRPE, que le CAPES ou l’agrégation de LR qui devrait exister dans chacune des LR) ou sur les conditions d’enseignement (les collègues ont souvent des regroupements de niveaux, sont à cheval sur plusieurs EPLE, avec des chefs parfois hostiles, qui ne respectent pas les horaires officiels).
Militant·e·s, ils-elles le sont aussi quant ils interpellent les élus locaux et les citoyens. Car, on le sait, les territoires où les revendications politiques sont plus fortes, sont les territoires où l’enseignement est souvent le plus développé.
Militant·e·s encore quand ils dénoncent l’absence de politique linguistique cohérente, tout en essayant de s’appuyer sur les textes qui existent.
Par exemple, la loi du 8 juillet 2013 parle d’une enseignement « tout au long de la scolarité » mais la circulaire de 2017 dit qu’il faut « encourager la diversité linguistique, en particulier dans le premier degré ».
Ils-Elles se battent souvent aussi pour que les CALR soient réunis, conformément aux textes.
L’action syndicale passe aussi par des interpellations directes du Ministère (cf. lettre de F. Rolet au Ministre Blanquer, par exemple).
Acteur « pédagogique »
Pour conduire les objectifs de l’enseignement bilingue, l’enseignant·e bilingue doit :
- développer une attitude positive face au double apprentissage, ce qui implique une formation de haut niveau ;
- favoriser une ouverture d’esprit, ce qui pose la question des outils et des supports pédagogiques, parfois peu développés ;
- créer des liens avec les autres locuteurs de la LR, parfois d’une autre génération, ce qui suppose souvent la mise en place de méthodologies particulières : approches interactionnistes, pédagogie de projet, interdisciplinarité…
- créer et développer une compétence plurilingue et pluriculturelle, ce qui oblige à penser la construction de concepts dans les deux langues et la mise en place d’une didactique du bi-plurilinguisme, particulière car le bi-plurilinguisme ne représente pas seulement un but mais aussi un moyen de l’enseignement-apprentissage.