Nos a quitats, tròp jove, nòstra amiga e collèga Coleta, militanta occitanista, sindicalista, engatjada politicament, presidenta de l’associacion per la memòria republicana de la resisténcia al còp d’estat de 1851… (écouter sur le site dédié une intervention de Colette Chauvin : https://1851.fr/audio/, accompagné de la photo ci-contre) La FELCO s’associa a la dolor dels sieus e de la seccion 04-05 de l’IEO.
Il nous est douloureux de publier à l’occasion de sa disparition un témoignage écrit par Colette sur la naissance d’un engagement occitaniste qui fut celui de toute une vie… Nous aurions tellement aimé qu’elle puisse participer aux événements qui ne manqueront pas d’accompagner la sortie du livre dirigé par Christian Lagarde Memòrias de l’occitanisme 1960-1980 où ses mots seront publiés. Ce témoignage est poignant pour ce qu’il dit d’elle, de sa volonté d’élever en dignité la lenga mespresasa des siens, de l’enseigner à l’école publique, dans un esprit d’ouverture et d’intégration des élèves qui lui étaient confiés.
Mercejam Cristian de nos autorizar la publicacion d’aqueles mots de Coleta…
Aquí lo messatge que nos escriu Cristian : « Coneissiái pas la Coleta Chauvin, e me serà pas jamai donat ailàs de la rencontrar. Es la Maria Joana que me prepausèt de la sollicitar per balhar son testimoniatge d’occitanista bas-alpenca dins l’encastre de las Memòrias de l’occitanisme 1960-1980 qu’èri a a alestir e que pro lèu se van publicar. I a demèst los contributors (son 95) de monde plan coneguts que fan de braves portissons plan ensenharèls sus aquela pontannada rica, esperançosa e tanben d’isanhas e de descorança. La Coleta es (ara, cal dire ‘èra’) d’aqueles que modestament faguèron e fan virar, cada jorn dins son canton (vilatge, vilòta o escòla), lo moviment occitanista, e que sens eles tot se seriá escrancat o s’escrancariá. Lo testimoniatge qu’anatz legir es a l’encòp pertocant de vertat e de sinceritat e plen de fisança dins una accion justa e necessària. E podèm considerar que mai enlà de la pena de la despartida, aquel messatge lo cal ausir e mai que mai portar, per esperlongar çò que la Coleta pecaire pòt pas mai menar ; per li far onor.
C.L.
Comment suis-je venue à l’occitan ? Mais je n’y suis pas venue, j’y suis née sans le vouloir et j’ai fait mes premiers pas dedans sans le savoir. Dans le milieu agricole qui était le mien, j’entendais sans les différencier, une langue, le soi-disant patois, celle de mes grands-parents et de mon père avec eux, une autre, le français, toujours, celle de ma mère, et leur mélange dans toute la famille et tout l’environnement.
Si Pépé n’était pas content qu’on tape derrière son journal et qu’il nous criait « Oh, mans de pâti, capon de bon soir » on ne se posait pas la question sur la signification exacte de « pâti »… Cela traduisait une grosse colère, c’était tout. Le jour où l’on a voulu savoir, il a fallu beaucoup insister pour qu’il nous réponde entre ses dents, qu’il n’avait plus : « Mains de meeeerde ! » à peine audibles, ces quelques mots, car là, il avait sans doute beaucoup culpabilisé de nous parler français… Mémé appelait mon frère « rigaud » et moi « bouscarle » ou « petoe ». On se reconnaissait dans ces surnoms qu’elle avait peut-être inventés. Nous avons découvert des années plus tard le charmant rouge-gorge, la bouscarle agitée, la fauvette babillarde ou toute autre espèce d’oiseau minuscule.
Notre langage était ponctué de mots du travail, d’expressions portant jugements ou appréciations, de dictons climatiques, fatalistes ou de bon sens complètement désarmants, comiques voulus parfois ou même absurdes. Quand le cantonnier m’a demandé : « L’as pagat, lo capèu ? » [tu l’as payé ton chapeau] et que ma réponse fut : « pas amé tei sòs, camèu » [pas avec tes sous, chameau], nous nous étions bien compris et il ne reprocha à mes parents que mon insolence.
Tout allait bien. Jusqu’à ce que l’on entre à l’école, à six ans naturellement : à la campagne, en 1958, pas de classe maternelle. Et là, le « fenestron » sur ma petite maison dessinée ou le « trauc » [trou] à la blouse de mon frère devenaient des gros mots que la maîtresse ne voulait pas entendre[1]. Cette digne représentante de l’école laïque, notre institutrice, peinait tout ce qu’elle pouvait pour envoyer quelques élèves en 6e, les filles surtout parce qu’elles s’appliquaient. Elle s’assurait de la réussite au certificat d’études de quelques garçons, rebelles à la rigueur de l’apprentissage, à l’autorité féminine, à la contrainte du banc d’école, destinés à prendre la suite à la ferme. Et là aussi, à l’école, en douce, on en apprenait de belles, jubilatoires, en provençal ! Je n’ai rien oublié …
L’attitude des parents changea dès l’entrée à l’école. Les grands-parents s’entendirent soudain dire sévèrement : « parlez-leur français ! ». Eh oui, on allait à l’école et il ne fallait pas nous « faire tromper ». Les grands-parents s’y pliaient le temps de la présence des parents, eux qui employaient parfaitement l’imparfait du subjonctif en français pour l’avoir appris à l’école comme une langue étrangère. Personne n’a reproché au curé de tenir le prêche en provençal le jour de l’obligée communion solennelle, anticipée pour qu’elle ne perturbe pas les études. Je l’entends encore s’extasier en évoquant ses prières à Marie : « N’en dèu i aguer un molon, un molon ! » [il doit y en avoir tout un tas]. L’église pleine communiait ! Mais le milieu était étanche.
Vint, en 1963, l’entrée au collège, de filles ! Quitter la classe unique mixte, pour se trouver au milieu de trente-huit citadines, en 6e classique 1, seule interne de la classe, seule fille de paysan, confrontée aux réflexions peu délicates de certains professeurs, par exemple : « Eh bien mademoiselle, (tiens, on nous vouvoyait, à onze ans), puisque vous ne savez pas votre leçon, vous n’avez qu’à aller garder les chèvres ! ». J’avais sûrement plus de respect pour le troupeau familial que cette chère dame de la « haute » envers ses élèves. Elle me blessa au plus profond de moi. Autre épreuve avec une professeure de géographie essayant de me faire deviner les plantations possibles à l’ubac des montagnes ! Le mot ‘ubac’, beaucoup trop savant, étranger à notre occitan quotidien ! Je ne connaissais que la rue de l’Hubac à Digne, pourquoi ce nom ? Je l’aurais écrit rue « Delubac », c’était peut-être un autre Victor Hugo ou un Gassendi dont je n’aurais pas entendu parler… Devant ma proposition de réponse d’un quelconque végétal, elle se mit à hurler, disant :« Et votre père, il plante les pommes de terre à l’ombre ? ! ! ! ». Mon père ? Et là, l’estrade devient sables mouvants, je vire au rouge, honte, colère, larmes, ça y est, humiliation suprême, toute la classe sait d’où je viens ; la langue d’oc m’avait joué un tour !
L’humiliation peut être involontaire, l’humiliation peut seulement être un ressenti, l’humiliation de la condition, l’humiliation de l’ignorance, mais l’humiliation peut faire relever la tête. Heureusement, l’internat était alors le refuge de la communauté rurale bien comprise par les surveillantes qui en venaient aussi, leur condition modeste les contraignant à travailler pour payer leurs études.
Longue période, bon an mal an, de l’adolescence consciente des injustices du monde, des privilèges scandaleux, des considérations liées au portefeuille et à la classe sociale, mais joyeuse, lycéenne soixante-huitarde et confiante dans la perspective des jours heureux. Le parler des grands-parents, n’avait plus beaucoup de place. Mais il demeurait cependant une trace profonde de ce qu’ils nous avaient apporté, comme la tendresse d’un secret affectueux et précieux.
Ces années-là, dans une société en pleine mutation, virent arriver à la campagne les néoruraux, pas forcément bien compris, pas toujours bien accueillis, à tort la plupart du temps. Ils sont devenus parfois les racines de la prise de conscience de la disparition de la langue et d’un mode de vie de bon sens.
Par ailleurs, en quelques rares occasions, une expression de connivence involontaire surgissait sans manières. Un exemple, au traditionnel bal masqué de la Saint Blaise, quand un cavalier mystérieux propose une danse endiablée dans une salle des fêtes plutôt marquée par le temps et vous crie dans l’oreille : « Es pas cloet ! ». J’apprends ainsi que tous les ‘clos’ de notre toponymie ne sont pas des enclos mais des lieux plats. Et la toponymie, vecteur raffiné de la langue d’oc, entre autres langues, intéressera beaucoup les petits élèves de Château-Arnoux, au gentilé de Jarlandins. Ce village, en raison d’une carrière d’argile, a abrité, montée de la Calade, rue Charge Rosse ou quartier Aquo de Girard, des potiers fabriquant des « gerles » ou « jarles ».
Arriva enfin le baccalauréat, l’étape ultime avant de quitter le petit monde de la petite ville des Basses-Alpes. L’option provençal est proposée avec le support Lou provençau a l’escolo. On est trois, dans tout le lycée, le plus important du département, à suivre les cours. Le professeur nous propose essentiellement de la version, inutile de parler de graphies, de chapelles, d’auteurs connus, on lit, traduit, écoute et répond. Les contes de Roumanille sont amusants, assez réalistes pour une Bas-alpine qui attrapera tous les points possibles à l’examen final. Elle apprendra plus tard qui était Roumanille et se servira tout de même de ses écrits à l’école élémentaire.
L’École normale de filles (encore !) d’Aix-en-Provence, étape suivante, est heureusement pourvue d’un professeur de provençal pour des cours facultatifs. Il vient de l’université. Il est fort sympathique, salue ses élèves, même sur le Cours Mirabeau. Il reconnaît, au milieu des filles du 13, les deux gavottes que nous étions à notre façon de prononcer le verbe ‘mettre’, « continuez, les gavottes, à dire « m[eu]ttons, vous m[eu]ttez , ad[meu]ttons, re[meu]ttez». J’ai entendu quelques fois la même prononciation chez quelques-uns de mes petits élèves et j’ai bien pris soin de ne pas les corriger …
Retour au pays, après quelques expériences dans les quartiers Nord de Marseille où le mélange de tous ces petits bouts de plusieurs nationalités et couleurs fut aussi une bonne école pour la maîtresse. Et, ce qui ne gâchait rien, une directrice championne du « parler marseillais » délicieusement déversé à tout bout de champ. Retour au pays donc, dans une classe unique, rurale, un monde où je me glisse comme un poisson dans l’eau. Tout s’y prête, le cadre, les environs, les relations avec la population et les élus. On parle en occitan avec le maire. On a la même logique dans un lieu où chacun fait ce qu’il peut pour conserver au moins l’école : sans école, plus de vie au village. Ici encore, la ruralité n’est pas qu’une langue. La ruralité est silencieuse et solidaire, la ruralité soutient la maîtresse dans tous les projets, même s’ils peuvent paraître fantaisistes, même si les moyens sont limités. Tout ce petit monde entend volontiers les quelques mots, histoires, comptines en oc que leur rapportent les enfants, même si le papa de Vincent n’est pas sûr du bien-fondé et se demande à haute voix devant son fils si la maîtresse « elle est pas caluc » [folle].
Quand la maîtresse part rejoindre un chef-lieu plus proche de son domicile, la ruralité comprend. La maîtresse n’oubliera pas cette poignée d’élèves dont une future prof de langue vivante retrouvée au collège de la ville-préfecture. Elle avait grandi dans une ferme où il s’y parlait la langue de la maman immigrée, la langue de la maison, un mélange obligé de français et de provençal. Et aussi la petite Russe qui ne connaît aucun mot de français en arrivant à l’école. Après quelques jours, à la grande surprise de la famille, elle se transforme en tyran de la langue française qu’elle impose systématiquement à la maison. Ah, les langues parlées, le cœur et la raison …
Étape suivante, le gros village, Château-Arnoux et ses Jarlandins, plusieurs classes, une équipe en construction, des débutants aux préretraités… Chacun prend ses marques et les affinités créent les projets. Le mode pédagogique innovant est aux échanges de service en fonction des formations spécifiques ou des compétences.
Le nouveau directeur est aveyronnais, il vient d’un département à la langue vivace, celle de Robert Marti et de Boudou, de son village. Il est moins complexé que la plupart des Provençaux et place une expression de chez lui à chaque bonne occasion. La maîtresse de la classe d’adaptation est corse et chante régulièrement dans la langue de son île. Le maître de la classe de perfectionnement apprend la langue turque en même temps que ses grands élèves apprennent le français. Une petite génération plus tard, les enfants de ces grands seront performants en langue d’oc, je vous l’assure.
Dans ce contexte linguistique ouvert, j’ai pu donner au provençal une place dans tous les niveaux après démonstration faite que nous ne négligions ni l’informatique, ni l’anglais, ni le stade aux quelques parents sceptiques. Cette dynamique est efficace durant un certain nombre d’années pendant lesquelles, par ailleurs, sur le plan personnel, ma famille s’agrandit de deux petites filles.
L’arrivée de mon aînée, en 1980, jouera sur mon père comme un déblocage par rapport à cette langue dont il s’était privé pour mon frère et pour moi-même. Très naturellement parfois, il lance une conversation, retrouve des proverbes, des expressions, des noms d’outils et de l’aisance à les dire, enfin ! Il parle plus souvent de sa jeunesse, il ne se contente plus des quelques phrases échangées au coin du marché, d’autant que disparaissent inéluctablement ses partenaires et amis des conciliabules en patois. Ma mère n’y parvient pas. Elle ne donnera que très récemment, les deux dernières années de sa vie, tout ce qu’elle en a retenu, comme une pulsion de sauvegarde, rivalisant avec un ancien instituteur, prisonnier d’Alzheimer, mais libéré dans cette langue qu’il maîtrise si bien.
Pour revenir au métier et à l’espace qu’il laisse au militantisme, devant le manque total de moyens et d’écoute de l’administration, et malgré les soutiens des collègues et des syndicats, on doit s’organiser pour des activités concrètes impliquant la langue d’oc. Pendant plusieurs années, durant une dizaine de jours, je pars avec ma classe à Piquepoul rejoindre Marceau Esquieu et Thérèse Duverger qui se démènent pour faire du séjour un condensé de langue et de culture. On visite, on chante, on imprime. On rencontre des intervenants merveilleux, Daniel Descomps, Christian Rapin et bien d’autres. Le Midi Libre avait titré de façon touchante : « Les petits santons sont de retour » … ‘Santibeli’, non, santons animés alors !
Ces séjours seront remplacés par la suite et durant une vingtaine d’années, par la classe patrimoine de la Cité de Carcassonne où mon exigence était que les interventions soient en occitan. Mes élèves ont eu la chance de rencontrer Claude Marti (« le vrai ? » avais-je demandé à la responsable des Pupilles de l’Éducation nationale, association organisatrice : « le vrai, oui ! ») et Alan Rouch, pour les plus connus.
On profita des « Oralies » organisées dans notre département pour solliciter le fantastique Claude Alranq, qui n’hésita pas à intervenir même en classe de maternelle, je l’en remercie encore. Parallèlement à toutes ces actions, je participai à quelques stages pendant les vacances. Un dans le Lot par exemple, à Martel, où je fus très impressionnée par Thérèse Canet que je découvrais[2]. Mon intérêt pour l’occitan se poursuit avec « Mesclum », La Marseillaise, Claude Barsotti et « Vaquí » en reportage à l’école ; Georges Gibelin, ses conseils et ses publications ; mon ami René Merle dont chaque contact est une fortune ; Philippe Martel, Marie-Jeanne Verny en diverses occasions.
De plus, au sein de l’IEO 04/05, des Hautes-Alpes aux Alpes-de-Haute-Provence, nous organisons des cours donnés par des intervenants extérieurs agréés dans des écoles volontaires. On se lance aussi dans des « Rescontres » qui font converger de nombreuses classes, les « Rescontres de Château-Arnoux », puis les « Rescontres de Villeneuve », avec le soutien du Conseil départemental.
L’effet de toutes ces propositions est un constat absolu durant plus d’une génération : les enfants d’origines diverses, qui entendaient une autre langue que le français à la maison, étaient ceux qui intégraient le plus facilement la langue régionale, ses subtilités, sa prononciation. Autre constat, éprouvé sur les fratries : si la maîtresse répétait des comptines ou chansons ou petites histoires déjà proposées aux aînés, les cadets s’exclamaient : « Mais maîtresse, je la sais, mon grand frère, ou ma grande sœur, me l’a déjà dite ».
La dynamique de l’initiation à la langue et à la culture régionales et une équipe pédagogique très favorable, génèrent des fêtes de fin d’année ouvertes au public où les enfants jouent des saynètes, chantent en oc et où se produit une compagnie de théâtre ou un groupe de musique occitan. Le service culturel communal retient en même temps un spectacle pour adultes, nous recevons Yves Rouquette avec la représentation du Boçut, Claude Marti et ses musiciens, le Théâtre de la Rampe avec plusieurs de leurs pièces et d’autres groupes ou compagnies. La réalisation d’un théâtre scène nationale dans la commune nous donna l’espoir d’une plus grande visibilité pour les représentations publiques. Mais nous serons privés de cette aide opportune : le théâtre en langue d’oc n’y a, paraît-il, pas sa place.
La création d’une nouvelle association dans le département des Alpes-de-Haute-Provence s’est fait impérativement sentir il y a vingt ans. Adhérente à l’IEO 04/05, l’ASOC s’est mise en place, composée d’un petit groupe de militants bas-alpins, actifs ou retraités dont je suis, et s’est lancée dans l’organisation de tournées annuelles de théâtre occitan et de musiques et chants traditionnels. Nous nous réunissons régulièrement pour de nombreuses mises au point et perspectives.
Sans bénéficier d’un enseignant de langue régionale, nous conservons et renouvelons pourtant la participation d’un certain nombre d’écoles et quelques collèges fidèles à cette tournée. Entre deux et trois mille élèves bénéficient, chaque année, d’une découverte et d’une initiation à la langue régionale, les compagnies nous fournissant un dossier pédagogique adaptable. Si l’administration accorde un détachement de quelques jours d’une jeune enseignante compétente, elle répond aux écoles qui souhaitent une préparation approfondie. Ces interventions sont très appréciées mais de moins en moins possibles, compte tenu des moyens constamment en diminution ou carrément inexistants…
Ainsi, mon engagement, rarement solitaire, est et a été essentiellement tourné vers le terreau, les enfants, y compris depuis ma retraite, en rapport avec mon niveau de compétence, un engagement au quotidien et un militantisme de base. Il m’arrive, à la demande, d’intervenir dans des associations périscolaires, de centres sociaux ou de patrimoine.
Si, pour conclure, je devais résumer à titre personnel ce parcours, je dirais d’abord que ma première prise de conscience du fait qu’il fallait faire le choix du militantisme, est due au sentiment d’humiliation vécu, répercuté sur ceux dont je venais. A posteriori, il me semble que je sentais au fond de moi quelque chose qui semblait me dévaloriser mais qui était pourtant une richesse. Cette richesse tristement dissimulée s’est transformée ainsi et heureusement en une résistance affirmée, confortée par les rencontres d’autres militants, à tous les niveaux. Cette conviction est devenue une revendication à prouver que le contenu de cet enseignement est un enrichissement universel parce que réplicable dans d’autres situations ou pour d’autres langues.
Mon intérêt pour l’histoire m’a persuadée du manque immense dû à la disparition d’une langue, et en même temps, de ce que l’on doit comprendre et retenir de ce qui fait société autour d’elle, de la société qui l’a utilisée, qui l’utilise, car elle est outil. Ce constat se rapproche d’une idée qui m’a toujours accompagnée, l’idée qu’avait Jaurès de l’utilisation de la langue régionale à l’école, idée scientifique, moderne s’il en est, de partir de la connaissance des enfants, comparer les langues, expliquer, développer l’histoire des civilisations. Il évoquait les correspondances évidentes entre les langues latines et a sans doute été compris par nombre d’enseignants. Cependant, il était à contre-courant du système.
Actuellement, nous avons la connaissance, nous pouvons généraliser l’expérience, mais si ce n’est pas possible, est-ce seulement une question de budget ou un constant désir de cadrer la société ? Je ne suis pourtant pas totalement désespérée car l’occitan est sans conteste une vraie civilisation, qui bénéficie d’auteurs et de chercheurs de haut niveau. Or l’Éducation nationale est une grande institution bien fragilisée à cause du peu de considération accordée à ses piliers, les enseignants, qui ont trop à défendre pour mener efficacement tous les combats. Et on ne peut que déplorer que la Constitution française ne s’accorde pas avec la loi Molac, pourtant une grande avancée dans l’opinion publique.
On peut souhaiter que, malgré une décentralisation mal établie qui, au lieu de considérer le territoire occitan dans son ensemble, avec ses richesses et ses diversités, a créé un mille-feuille déroutant et indigeste, nos petits auront peut-être pu saisir et retenir quelques bribes d’une culture très fragile, et qu’ils seront le liant capable de poursuivre l’entreprise de sauvegarde de la langue d’oc et de la pluralité linguistique de ma génération.
[1] Petite digression : La maîtresse était communiste, je l’ai su quand elle est morte, 30 ans après, alors que – poussons jusqu’à l’ironie de la coïncidence – j’étais en stage IEO à Gap, avec René Merle. Et que naissait ce jour-là avec lui une grande complicité et un long accompagnement grâce à la langue et à l’histoire : le soulèvement républicain de 1851.
[2] Petite anecdote contradictoire, un stagiaire du cru ne se rendit pas compte de la portée de sa phrase à mon adresse quand il sut d’où je venais : « Oh, mais vous, en Provence, vous dansez !». Je n’eus pas la répartie de lui dire, ne lui déplaise, que le folklore – puisque c’était de cela qu’il voulait parler – n’était pas mon passe-temps favori et que le costume qu’il faisait porter aux Provençaux n’était pas une généralité…