26-04-23 – Entretien avec MJ Verny – FELCO – CREO Lengadòc dans La Marseillaise Gard – Hérautl 21-27-04

En voici le plan : L’occitan, une culture, quel est votre parcours ? quelle place pour l’occitan à l’école publique ? que se passe-t-il dans le second degré et à la fac ? L’article rappelle également  la pétition « pour une vraie place des littératures en langues régionales dans les programmes scolaires » Cet entretien a été réalisé par Amélie Goursaud, le journal est disponible jusqu’au 27 avril  et en ligne à l’adresse https://www.lamarseillaise.fr/societe/grand-entretien-marie-jeanne-verny-etudier-l-occitan-c-est-porteur-LE13718003

[Grand entretien] Marie-Jeanne Verny : « Étudier l’occitan, c’est porteur »

Toutes les semaines dans La Marseillaise, nous invitons une personnalité du Gard ou de l’Hérault à répondre à nos questions. Ce vendredi, Marie-Jeanne Verny, professeure émérite d’occitan à l’Université Paul-Valéry de Montpellier, présidente du centre régional de l’enseignement de l’occitan (Creo) Lengadòc et co-secrétaire de la fédération des enseignants de langue et culture d’oc (Felco) évoque son combat pour les langues régionales. Entretien avec Amélie Goursaud

Une culture

La Marseillaise : L’occitan est une langue, mais c’est aussi une culture…

M.-J. V. : La littérature occitane est d’une immense richesse, elle est à la fois très ancienne (depuis les troubadours) et contemporaine : il y a de très jeunes poètes occitans. Je ne connais pas de moment d’extinction de la littérature occitane. On est certes moins bons que les Bretons, les Corses ou les Basques en matière de visibilité sociale, mais en termes de littérature, il n’y a pas photo ! De la même façon, la chanson occitane est d’une variété extraordinaire. Elle s’exprime notamment, depuis 30 ans, dans le cadre du festival interrégional l’Estivada, à Rodez, que le maire a hélas décidé de supprimer… .

Parcours

La Marseillaise : D’où viennent votre passion et votre combat pour l’occitan ?

Marie-Jeanne Verny : Je suis issue d’un milieu paysan modeste du Cantal, d’une famille occitanophone. Mais à nous, les enfants, on ne parlait que Français parce que mes parents s’étaient fait taper sur les doigts à l’école, on les avait humiliés à cause de leur langue et de leur classe sociale. Du coup ils ont pensé nous protéger… Ce qui a provoqué la prise de conscience, c’est l’enseignement public, quand, au lycée Saint-Flour, j’ai eu un cours d’occitan. Au départ, je ne faisais absolument pas le rapport entre la langue que j’allais apprendre et le « patois » de la maison. Et tout à coup, j’ai compris que c’était la même chose. Il y avait une autre langue, porteuse de culture. À partir de là, je n’ai pas arrêté. Je suis devenue militante (le Larzac, les manifs…), j’ai fait des études d’occitan et de lettres modernes, je suis devenue prof de lettres et dès que j’ai pu enseigner l’occitan, je l’ai fait. C’était en 1985 : j’ai ouvert un cours d’occitan à Nîmes.

M.-J. V. : Les langues régionales sont-elles en danger ?

Évidemment, parce qu’on est dans un monde de globalisation. Mais en même temps, il y a des forces de résistance. Pour éviter l’uniformisation du monde, il faut que les gens soient plurilingues. Qu’est-ce que je peux offrir à l’autre si je suis semblable à lui ? Nos cultures régionales, nous voulons les offrir. Ça n’a rien à voir avec l’enfermement, l’entre-soi.

Quelle place dans l’école publique ?

Dans quelles proportions l’occitan est-il enseigné dans le premier degré ?

M.-J. V. : Les Calandretas, écoles associatives qui pratiquent l’immersion linguistique, c’est 3 900 élèves et dans l’école publique, c’est 10 000 élèves dans l’enseignement bilingue à parité horaire (moitié occitan – moitié français) et quelque 70 000 qui étudient la langue sous des modalités variées. Cela reste très insuffisant à l’échelle de 8 académies ! En Corse, tous les enfants ont corse dès la maternelle, sauf si les parents formulent une objection. Au Pays basque, à peu près la moitié des enfants sont concernés. Nous en sommes vraiment loin.

Que pensez-vous des Calandretas ?

M.-J. V. : On ne se sait pas assez que l’immense majorité des enfants qui font de l’occitan le font à l’école publique. Pour autant, je ne taperai pas sur l’associatif car s’il n’avait pas fait la preuve qu’on pouvait enseigner en occitan, l’école publique n’aurait rien fait. Les Calandretas ont montré, quand elles ont été créées à la fin des années 1970, que les gamins qui avaient des cours en occitan, pas seulement des cours d’occitan, étaient aussi bons que les autres quand ils sortaient de là. Du coup, les écoles publiques s’y sont mises 10 ans plus tard en instaurant le bilinguisme à parité horaire. C’est là qu’est mon combat : l’enfant lambda va à l’école publique, c’est à cet enfant-là qu’il faut proposer l’occitan.

La loi Molac de 2021 a fait un grand pas en ce sens ?

M.-J. V. : Elle prévoit de proposer l’enseignement des langues régionales à tous les élèves. C’est un grand pas, mais qui reste symbolique car le texte n’est pas assorti des moyens nécessaires. Pour autant, cette loi tend quand même vers une généralisation de l’offre. Et elle prévoit que des conventions soient signées entre Rectorats et Régions. Chez nous, la convention est en voie de discussion et on va essayer de faire en sorte qu’elle comporte des objectifs chiffrés.

Second degré et fac

Où en est l’enseignement de l’occitan dans le second degré et le supérieur ?

M.-J. V. : On a eu, depuis 2004, une série de catastrophes au niveau de l’enseignement dans le second degré. D’abord le nombre de postes au Capes a énormément baissé : de 15 à 20 en moyenne, il est passé à 12 puis à 4 et actuellement à 3. Ensuite, la prise en compte des notes d’occitan dans le bac est devenue de plus en plus faible. Quand j’ai commencé à enseigner, l’Occitan rapportait pas mal de points, puis le nombre total de coefficients a augmenté mais pas la part de l’occitan… Si bien que ça ne rapporte plus grand-chose. Par ailleurs la réforme Blanquer du lycée a donné encore moins de place aux langues régionales. Le nombre de lycéens faisant occitan a donc baissé et, du même coup, le nombre d’étudiants. Les viviers pour les concours se sont donc taris et comme il y a moins de candidats, on a beau jeu de nous dire : on ne va pas créer des postes…

Comment remédier à cette situation ?

M.-J. V. : Paradoxalement, on a, actuellement, une offre de postes bien supérieure au nombre de candidats. Le concours de professeur des écoles langues régionales ne fait pas le plein. Un étudiant titulaire d’une licence d’occitan peut réussir le concours de professeur des écoles « langues régionales » grâce à des bourses données par la Région. Il faut que les familles prennent conscience qu’étudier l’occitan, c’est porteur. La fac Paul Valéry de Montpellier, notamment, propose une excellente formation, avec de petits effectifs, un encadrement de premier choix et des jobs à la clé.

Programmes scolaires

M.-J. V. : À l’occasion de la Semaine de la langue française, qui a lieu chaque année du 18 au 26 mars, une pétition* signée par plus de 10 000 personnes a été adressée au ministre de l’Éducation nationale. Elle propose d’inscrire dans les programmes scolaires de grandes œuvres écrites en langues régionales, en traduction française, comme cela se fait déjà pour des œuvres étrangères.

* https://www.mesopinions.com/petition/art-culture/vraie-place-litteratures-langues-regionales-programmes/193595

 

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